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Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/109

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« Lundi soir (juillet 1861).

« Votre volume reçu ce matin à onze heures, était dévoré avant cinq heures du soir.

« J’ai commencé par vous chercher quelques chicanes, dans les premières pages, à cause de deux ou trois répétitions de mots, comme celle du mot lit par exemple ; puis ça m’a empoigné, enlevé. J’ai tout lu, d’une haleine et en mouillant quelquefois, comme un simple bourgeois.

« Je vous trouve en progrès sur les Gens de lettres, comme narration, déduction des faits, enchaînement général. Vous n’avez ni une digression ni une répétition. Chose rare et excellente.

« L’enfance de Philomène, sa vie au couvent, tout le chapitre II m’a ébloui. C’est très vrai, très fin et très profond. Bien des femmes s’y reconnaîtront, j’en suis sûr. Il y a là des pages exquises : 44, 45, 46. On sent la chair sous le mysticisme. Le petit téton qui commence à se former sous les médailles bénies, le premier sang des règles qui (se) mêle au sang de Jésus-Christ, tout cela est beau, bon et solide.

« Quant à tout le reste, la vie d’hôpital, je vous réponds que vous avez touché juste.

« Vous avez des endroits navrants par leur simplicité, comme le chapitre IX.

« Les conversations des malades, les physionomies secondaires d’élèves, celle du chirurgien en chef Malivoire, etc., very well.

« Mais je suis amoureux de Romaine !!!…

« Je n’ai qu’un reproche à faire à votre livre, c’est qu’il est trop court. On se dit à la fin “déjà !” C’est fâcheux.

« … Je vous écris dans tout l’ahurissement d’une première lecture. Pardonnez-moi mes bêtises, si elles sont trop fortes.

« Dites-moi un peu comment on prend votre livre ? Par quel côté on l’attaque ? Vous savez combien j’aime vos écritures et vos personnes. Donnez-moi de vos nouvelles et soyez sûrs, l’un et l’autre, que je vous aime et que je vous embrasse tendrement.

« À vous, mon bichon.

« Gustave Flaubert.

« J’oubliais de vous parler de la mort de Barnier et du dernier chapitre qui est un chef-d’œuvre.

« Cette mèche de cheveux enlevée à la fin et qu’elle portera sur son cœur toujours, — c’est exquis. »

Et, quelques jours plus tard, Flaubert reprenait le même sujet et écrivait de nouveau à ses amis :