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Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/126

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pés. Mais ils avaient été bientôt enrênés court par la discipline plus grave de l’histoire. La publication de Germinie Lacerteux marque définitivement le tournant de leur route littéraire. Je dirais volontiers qu’ils ne sont pleinement eux qu’à partir de là. Alors, en effet, commence une littérature faite de chair et de sang, dans une forme brillante et nerveuse, mais aussi merveilleusement apte aux délicatesses de l’analyse, avec la coupure précise du bistouri et la souplesse de la sonde, littérature échappant à toutes les entraves du lieu commun et de l’exemple, aux rabâchages des redites, et qui, forte d’elle-même, paraît écrite par des auteurs qui n’ont d’autre souci que de se satisfaire eux-mêmes et mus seulement par cet axiome, trop longtemps méconnu, que l’art n’a d’autre moralité que le vrai.

Les préfaces du livre, les passages du journal qui s’y rattachent, l’histoire de la pauvre fille qui a servi de modèle pour le principal personnage, donnent sur l’œuvre des indications bien curieuses. Les auteurs racontent qu’ils ont eu, pendant quinze ans, à leur service une femme, du nom de Rose, à laquelle ils étaient fort attachés et qui leur avait donné les preuves de l’honnêteté la plus solide et du dévouement le plus sûr. Cette femme, à la fin d’une longue maladie, voulut être transportée à l’hôpital et elle y mourut. Autour de sa tombe, se levèrent immédiatement les aboiements de créanciers inconnus. Des criailleries de toute sorte dévoilèrent une vie de turpitude et de vagabondage que l’hystérie seule pouvait expliquer et qui avait marché de pair avec la régularité apparente de son service. Elle avait vécu d’une vie dédoublée : d’un côté le dévouement, le travail, l’abnégation ; de l’autre, les courses nocturnes, les raccrochements honteux, crispés, surexcités par le désir, d’une louve en chaleur.