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Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/136

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d’écueils d’une femme d’âge canonique qui reçoit à l’improviste d’un blondin une déclaration de désir ressemblant fort à celle que Chérubin fait à Marceline. Bressant, avec sa tenue, sa mesure et sa verve, était le type rêvé du Monsieur en habit noir, Got faisait le raisonneur et Mme Victoria Henriette. C’était un ensemble fort remarquable et les auteurs, pour leur début au théâtre, allaient être défendus par une élite d’artistes telle qu’il est fort rare d’en rencontrer.[1]

Le comité, en recevant Henriette, comptait bien que la censure, qui fonctionnait alors avec vigilance, rognerait les ailes aux propos les plus impertinents et les plus osés de la scène du bal. Aussi n’avait-il pas demandé de suppressions ou d’adoucissements, afin de laisser aux censeurs l’odieux des coupures. Mais il se produisit un fait sur lequel on n’avait pas compté. La princesse Mathilde n’avait été pour rien dans la réception de l’ouvrage, mais, la pièce reçue, elle intervint auprès du maréchal Vaillant, alors ministre des Beaux-arts, et elle obtint de lui la promesse qu’il musèlerait les censeurs. Le 2 décembre, le censeur Planté apposait, par ordre, son visa sur le manuscrit et autorisait la représentation.

L’administrateur de la Comédie française se réjouit médiocrement de cette faveur. Il avait une trop grande expérience du théâtre pour ne pas prévoir que « paillasse en deuil, tourneur de mâts de cocagne en chambre, abonné de la Revue des Deux Mondes, » mots bien inoffensifs en soi, lancés à pleine balle à tra-

  1. Dans la première distribution Bressant remplissait le rôle de Pierre de Bréville et Got celui du Monsieur en habit noir. Ils firent échange. On trouva aussi des difficultés du côté de Mme Plessis. Elle se décida avec un joli mot : « C’est le premier rôle de maman que je joue. — Après ça, elle est si coupable ! »