Aller au contenu

Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ville des papes avait la majesté d’un sanctuaire. Le bâton pastoral de Pie IX pesait bien peu sur les nuques de ses sujets et l’unité de l’Italie n’était encore qu’un rêve confus dans la tête de Cavour. Rome était demeurée le contraire des autres capitales, sans commerce et sans bruit. De rares passants se coulaient discrètement le long des murailles de ses palais. L’herbe croissait dans les rues ; les trottoirs du Corso étaient pavés avec des fragments de statues et d’inscriptions antiques. Le soir Rome s’endormait au soleil couchant ; il n’y avait que trois reverbères à l’huile sur la place Navone et le mot de gaz n’avait pas d’équivalent connu en italien. Aux grands jours, le pape officiait encore lui-même sous le baldaquin de Saint-Pierre. Une odeur discrète de prières, de péchés pardonnés, de cire consumée et d’encens sortait, comme d’une cassolette, des églises et des chapelles de couvents, quand on soulevait, pour y entrer, les lourdes portières de cuir. « Ce qui attirait Mme Gervaisais et ce qu’elle allait y chercher, ce n’était point une impression religieuse, l’approche du Dieu chrétien dans sa maison, mais la sensation d’un lieu de tranquillité, paisiblement et silencieusement agréable, offrant le repos et l’hospitalité d’un palais pacifique. Sortir du soleil de la rue, entrer dans la fraîcheur, l’assoupissement de l’or et des peintures, les lueurs polies et les blancheurs errantes, c’était, pour elle, le rassérénement que pourrait donner un endroit d’ombre attendant le jet d’eau du Généralif. »

Là s’infiltrait en elle la contagion de l’exemple. Son âme trop tendue se pénétrait lentement de l’influence émolliente de la Rome chrétienne. Elle subissait le charme et l’enguirlandement des pompes qui se déroulent avec majesté au feu mouvant des cierges, dans la psalmodie des cantiques et le parfum de l’en-