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Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/230

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Et il ajoutait quelques jours après :

Jeudi, 17 août. — Mon état est un grand déliement des personnes, et des choses. Les personnes qui me sont le plus sympathiques, je ne suis plus sûr de les aimer. Quant aux choses, elles ont perdu pour moi leur attraction. Un de ces jours derniers, sur le quai, un libraire m’a offert de voir un ballot de brochures sur la Révolution. Autrefois la nuit eût eu de la peine à me chasser de chez lui ; aujourd’hui, après en avoir regardé deux ou trois, j’ai dit au libraire que j’avais des courses à faire et que je reviendrais.

La cicatrice du cœur ne se fermait pas. La douleur distraite un instant par les malheurs du siège et de la Commune, s’exaspérait dans la solitude, et, bien que deux ans se fussent écoulés, il écrivait :

Samedi, 1er juin 1872. — Avec les années, le vide que m’a laissé la mort de mon frère se fait plus grand. Rien ne repousse chez moi des goûts qui m’attachaient à la vie. La littérature ne me parle plus. J’ai un éloignement pour les hommes, pour la société. Et, par moments, je suis hanté de la tentation de vendre mes collections, de me sauver de Paris, d’acheter dans quelque coin de la France favorable aux plantes et aux arbustes, un grand espace de terrain où je vivrais tout seul, en désolé et farouche jardinier.

Il semble qu’un peu d’allégement se soit produit en 1873. À cette époque, en effet, sans s’imposer encore un travail de tête et d’imagination, M. de Goncourt coordonna et compléta des notes sur les œuvres de Watteau et de Prud’hon. Les catalogues de leurs dessins, de leurs peintures et de tout ce qui s’y rattache furent publiés en 1875 et en 1876.

Mais le renouveau définitif de l’esprit de l’écrivain et le retour au travail furent produits par une nouvelle secousse causée par la maladie. La note inédite que voici en fixe la date exacte :

Vendredi, 8 janvier 1875. — Depuis deux ou trois jours, je commence à revivre et ma personnalité rentre tout douce-