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Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/239

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mort, l’illusion de la collaboration. Aussi la fiction fantaisiste des deux clowns dont le comique froid et sinistre semble parfois une création de Hogarth, n’est-elle autre chose qu’un cadre merveilleusement approprié au lamento des souvenirs, à l’histoire de deux vies uniquement vouées à une même œuvre et que le sort, après les avoir liées, avait cruellement séparées. Sous les masques grimaçants des deux clowns coulent les vraies larmes des ménechmes littéraires unis ou plutôt confondus par l’amitié et par les goûts. Dans cette œuvre dont la psychologie est poignante et la plastique idéalement baroque, une succession de tableaux très courts, comme des strophes, enlevés en trois coups, acquiert la puissance saccadée d’un courant électrique interrompu. On y trouve des accumulations de sentiments savamment concentrées, à côté de lenteurs reposantes ; les moindres impressions sont décuplées par la puissance de l’observation qui les a perçues et de l’art qui les décrit ; sur des thèmes brutaux, s’éveille parfois la musique la plus fine du style et la plus délicate.

Car c’est surtout par là que vaut le livre, par l’analyse subjective des impressions vécues, par le dragage des souvenirs que l’écrivain a tirés de son cœur. Il semble qu’on en perçoive les palpitations. Où trouver une analyse plus précise, une définition plus saisissante, plus conforme, dans son raffinement et dans sa netteté au toti et soli definito de l’École, que ces lignes : « Les deux frères ne s’aimaient pas seulement, ils tenaient l’un et l’autre par des liens mystérieux, des attaches psychiques, des atomes crochus de natures jumelles, et cela, quoiqu’ils fussent d’âges très différents et de caractères diamétralement opposés. Leurs premiers mouvements instinctifs étaient iden-