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Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/25

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prend et l’homme meurt : témoin Jules de Goncourt.

La maladie causée par le développement de la sensibilité, les deux frères l’ont étudiée sur eux-mêmes, dans un dédoublement continuel, avec une précision et une impersonnalité de physiologistes. Quand nous en serons aux phases successives du mal dont est mort Jules, on croira resuivre, pas à pas, les lentes agonies de Charles Demailly et de Coriolis. Celle de Jules et sa mort ont eu pour témoin Edmond de Goncourt, très malade, lui aussi, à cette époque. Dans la troisième partie du Journal, dans un chapitre de la Maison d’un artiste, dans les Frères Zemganno, il a repris, seul alors, mais avec l’accumulation des observations communes, ce sujet attristant qu’il a marqué de traits plus précis. Les deux frères ont donc été aussi des subjectifs, à la façon allemande. Ils ont débrouillé douloureusement le peloton de leurs nerfs, mis à vif leurs fibres les plus ténues, amplifié leurs sensations. On croit assister parfois, en lisant leurs livres, à une expérience de vivisection dans laquelle ils sont en même temps les tourmenteurs et les suppliciés.

Jules de Goncourt, mort à trente-neuf ans, en 1870, était le charme même. Tous ceux qui l’approchèrent ont conservé mémoire de l’éclat et du prime-saut de son esprit, de son scepticisme léger, insouciant et gouailleur. Bien qu’il fût capable d’un effort de travail très soutenu, il donnait à la rêverie horizontale, dans le nimbe épais de la fumée du tabac, de longues heures méditatives. Plus jeune de huit ans que son frère Edmond, il était plus petit que lui de taille, rose et blanc ; de longues moustaches, blondes et fines, se cerclaient sur ses lèvres. Il incrustait fréquemment, dans l’arcade sourcilière de son œil gauche, un monocle qui lui donnait un semblant d’impertinence, quoiqu’il fût seule-