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Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/277

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Pungolo napolitain du 5 octobre, donna les derniers prix qu’avaient atteints les toiles du peintre et, pour en finir avec l’invention du suicide, il publia la belle lettre que M. Edmond de Goncourt lui avait écrite, peu de jours après la mort de leur ami commun. Cette lettre renferme quelques détails déjà notés dans la pièce précédente, mais elle l’explique et la complète :

Mardi, 26 août 1884.
Cher monsieur,

Quoique bien remué par cette mort, par les cruelles journées et les douloureuses nuits qui l’ont suivie, et par cette opération abominable qu’on appelle un embaumement, quoique bien incapable d’écrire dans le moment quoi que ce soit, je vous envoie les détails que vous me demandez.

En un récent séjour dans le département de la Meuse, j’avais reçu une lettre de Madame de Nittis qui me disait que son mari continuait à être souffrant, que le médecin qui le soignait croyait à une maladie de cœur, qu’il avait enfin éprouvé des troubles de la vue qui l’empêchaient de travailler.

Aussitôt mon retour à Paris, j’allai passer une demi-journée avec lui. C’était le mardi 19 août. Je trouvai mon pauvre de Nittis triste, bien triste de ce qu’il ne pouvait pas travailler, et il me peignait pittoresquement les désordres de sa vue en me disant que maintenant, s’il voulait lire, il voyait des marques dans la feuille imprimée et qu’il lui semblait qu’on avait tiré dedans un coup de fusil chargé à petit plomb. Avec cette tristesse, une grande oppression, mais rien au monde qui pouvait faire prévoir une catastrophe et une catastrophe prochaine. Il s’occupait avec un intérêt gentiment enfantin, de la mise en sacs des raisins d’une treille, et même, à l’heure du dîner, il alla surveiller la sauce d’un homard à l’américaine. Ceci se passait le soir du mardi 19 août, vous ai-je dit, et, le jeudi matin, je recevais ce télégramme de sa femme : Venez vite ; M. de Nittis mort subitement.

Il s’était réveillé à sept heures, et Dinah, la femme de chambre de sa femme, lui avait posé derrière le cou les quatre ventouses que lui faisait poser, tous les matins, le médecin de Saint-Germain ; mais les ventouses avaient mal pris et le malade était un peu nerveux. Il se rendormait cependant, se réveillait à huit heures et demie, s’habillait