Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/130

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abandonna les entreprises de son plein gré, ne pouvant supporter la pénible situation morale à laquelle le réduisaient les ouvriers. Pauvres que nous étions en techniciens instruits, ces procédés faisaient craindre des conséquences irréparables. De même que dans l’armée, les comités nommaient souvent, à la place du personnel démissionnaire, des gens ignorants, nullement préparés à ces fonctions. Par endroits, les ouvriers s’emparaient d’une façon absolue des entreprises industrielles et, n’ayant ni connaissances, ni moyens, les menaient à la ruine, se condamnant au chômage et à la misère.

Il n’y eut plus, dans les entreprises industrielles, ni discipline de travail, ni aucun moyen de contrainte morale, matérielle, voire même judiciaire. La seule « conscience de classe » ne suffisait pas. Le personnel technique et administratif, ancien ou nouvellement élu, était impuissant à diriger la production et n’avait pas pour cela l’autorité indispensable, terrorisé qu’il était par les ouvriers. Il en résulta que la journée même de 8 heures fut, en fait, réduite ; le travail fut exécuté avec une extrême négligence et le rendement diminua déplorablement. Dès le mois d’avril, l’industrie métallurgique de la région de Moscou était tombée dans la proportion de 32 % ; le rendement des usines pétersbourgeoises, dans la proportion de 20 à 40 % ; au mois de juillet, l’extraction de la houille et le rendement global du bassin du Donetz avaient baissé de 30 %, etc. L’extraction du naphte à Bakou et à Grozny était également désorganisée.

Mais l’industrie fut surtout atteinte par les exigences monstrueuses relatives à l’augmentation des salaires qui ne répondait ni au coût de l’existence, ni au rendement du travail, ni aux moyens effectifs des entreprises, exigences de beaucoup supérieures à tous les bénéfices extraordinaires. Ainsi, Koutler cite dans son rapport au Gouvernement Provisoire, les chiffres suivants : dans 18 entreprises du bassin du Donetz dont le revenu brut, au cours de la dernière année, avait été de 75 millions de roubles, les ouvriers avaient exigé une augmentation de salaires atteignant 240 millions de roubles par an. La somme totale de l’augmentation des salaires, dans toutes les entreprises minières et métallurgiques du Sud, était de 800 millions de roubles par an ; dans l’Oural, de 300 millions de roubles à côté d’un chiffre d’affaires ne s’élevant qu’à 200 millions ; les salaires supplémentaires dans la seule usine Poutilov atteignaient, à la fin de 1917, la somme de 90 millions de roubles. Relativement à l’année 1914 les taux des salaires augmentèrent dans la proportion de 200 à 300 % et, pour les tisserands de l’industrie textile de la région de Moscou, dans la proportion de 500 %. Bien entendu, la charge de ces taux revenait pour une forte part au trésor, la plupart des entreprises travaillant pour la défense nationale.

En présence d’une pareille tendance de la production industrielle