Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/145

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à réparer les barrages de mines — principal moyen de défense de la flotte de la Baltique — se heurtaient à une opposition des organisations des marins et des équipages.

Tout ceci témoignait non seulement de la déchéance générale de la discipline, mais encore de l’action systématique de l’état-major allemand. On pouvait craindre que les plans secrets et les chiffres de la flotte ne fussent livrés…

D’autre part, sous l’influence de l’oisiveté et de l’isolement, les troupes du 42ème corps spécial, disposées le long du littoral finlandais et sur les îles du Moonsund, s’étaient rapidement démoralisées depuis le commencement de la révolution et n’étaient plus que des foules dégradées au physique et au moral. Il était impossible de les relever ou de les déplacer. Je me souviens qu’au mois de mai 1917, j’avais longuement et inutilement insisté sur l’envoi d’une brigade d’infanterie sur les îles du Moonsund. Il suffit de dire que le commandant du corps d’armée n’osait plus visiter ni passer en revue ses contingents — circonstance qui caractérise en même temps que les troupes la personne du chef.

Bref, voici où en était le front du Nord au printemps de 1917 : tous les jours on nous envoyait des rapports sur l’état des barrières de glace dans les détroits entre le continent et les îles du golfe de Riga, et la présence prolongée de ces glaces semblait être la force réelle qui empêchait le plus efficacement l’entrée de la flotte allemande et la descente de l’ennemi.

Entre la Disna et la Pripiat s’étendait le front de l’Ouest ([1]). Sur toute son immense étendue, deux directions — celle de Minsk-Vilno et celle de Minsk-Baranovitchi — présentaient pour nous la plus grande importance en tant que lignes de l’offensive éventuelle aussi bien de nos troupes que de celles de l’adversaire. Des opérations analogues y avaient déjà eu lieu par le passé. Les autres secteurs du front, surtout celui du Sud — le Polessié boisé et marécageux, — demeuraient passifs, grâce à la configuration des terrains et l’état des routes : quant à la ligne de la Pripiat, de ses affluents et de ses canaux, il y avait beau temps qu’on y pratiquait, entre Russes et Allemands, des relations de voisinage à moitié paisible et des échanges de commerce clandestin qui n’étaient pas sans offrir des avantages aux « camarades ». On nous informait, par exemple, que des soldats russes quittaient tous les jours leurs positions pour porter des marchandises au marché de Pinsk et ce va-et-vient était, pour diverses raisons, fort bien vu des autorités allemandes.

Un autre point vulnérable était la tête de pont sur le Stokhod, près de la station Tchervistché-Golénine, occupée par un des corps de l’armée du général Lesch. Le 21 mars, après une forte préparation d’artillerie et une attaque aux gaz, les Allemands

  1. Il fut successivement commandé par les généraux Evert, Gourko, Dénikine et Balouev.