Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/157

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pardonnera jamais, comme elle ne nous aurait jamais pardonné à nous.

Le commencement de 1917 fut une période catastrophique pour les puissances centrales et décisive pour l’Entente. La question de l’offensive russe préoccupait beaucoup le commandement allié. Les attachés militaires de la Grande Bretagne (le général Barter) et de la France (le général Janin) venaient souvent nous voir, le Généralissime et moi, pour savoir où en était la question. Cependant les assertions de la presse allemande relatives à la pression exercée par les Alliés — pression qui serait allée jusqu’à des ultimatums posés au Grand Quartier — étaient fausses : cela aurait été simplement inutile, car Janin aussi bien que Barter se rendaient compte de la situation et comprenaient que seul l’état de l’armée nous empêchait de déclencher une offensive. Ils s’efforçaient d’accélérer et de renforcer l’aide technique, tandis que leurs collaborateurs les plus expansifs — Thomas, Henderson et Vandervelde — leaders des partis socialistes de l’Occident, cherchaient en vain par leur parole ardente à ranimer une étincelle de patriotisme parmi les représentants de la démocratie révolutionnaire et de l’armée russes.

Enfin, le Grand Quartier comptait avec cette circonstance encore : réduite à l’état de passivité, privée de toute impulsion, de tout ce qui pouvait la pousser à l’action, l’armée russe aurait été bientôt envahie par la décomposition définitive, tandis qu’une offensive couronnée de succès eût pu relever et assainir son moral, sinon par un élan de patriotisme, du moins par le sentiment excitant et enivrant d’une grande victoire. Ce sentiment eût pu surmonter tous les dogmes internationalistes dont les semences avaient été jetées par l’ennemi sur le terrain propice des aspirations défaitistes des partis socialistes. La victoire promettait la paix extérieure et certaines chances de paix intérieure. La défaite plaçait l’État au bord d’un abîme béant. Le risque était évident et grave ; mais le but : le salut de la Patrie, valait qu’on le courût.

Le Généralissime, le Général-quartier-maître (Yousefovitch) et moi, nous étions unanimes à reconnaître la nécessité de l’offensive. Les officiers généraux partageaient en principe ce point de vue. Les divergences de vues, d’ailleurs assez considérables, ne portaient que sur l’appréciation de la combativité des troupes sur les fronts respectifs et du degré de leur préparation.

J’affirme d’une façon catégorique que rien que cette décision, même indépendamment de sa réalisation pratique, a rendu aux Alliés un service incontestable en retenant au front russe les forces, le matériel et l’attention de l’ennemi ; ce front, même après avoir perdu son ancienne puissance menaçante, demeurait encore, aux yeux de l’ennemi, le sphinx énigmatique.

Il est curieux qu’à la même époque, le Grand Quartier de Hindenburg discutait une question analogue. « La situation générale, en avril et mai et jusqu’à juin, dit Ludendorff’, ne permettait pas