Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/307

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armée, l’offensive fut liquidée en un jour. Au Sud-Ouest de Dvinsk « nos troupes — dit le communiqué — après une forte préparation d’artillerie, ont occupé les positions allemandes des deux cotés de la voie ferrée Dvinsk-Vilna. Immédiatement après, des divisions entières, sans y être poussées par l’ennemi, sont rentrées dans leurs tranchées de départ ». Le communiqué mentionnait la conduite héroïque de certaines unités, la bravoure des officiers et l’énormité de leurs pertes… Cet événement, sans importance au point de vue stratégique, offre cependant un grand intérêt pour l’étude des mœurs révolutionnaires. Il faut savoir que la 5ème armée était commandée par le général Danilov ([1]), l’un des chefs particulièrement appréciés par la démocratie révolutionnaire. Selon Stankiévitch, commissaire sur le front Nord, le général Danilov était « l’unique général qui fût, malgré la révolution, resté maître absolu de son armée. Il y faisait régner une concorde parfaite. Les nouvelles institutions : comités, commissaires, loin d’affaiblir son autorité, la rendaient plus effective. Il écartait tous les obstacles, sans faiblesse, sans hésitation. À la 5ème armée, on travaillait sans cesse, on s’instruisait, on se développait : le général avait pour collaborateurs les hommes les meilleurs et les plus cultivés de son armée. »

Ainsi, l’adoption sans réserves de toutes les innovations révolutionnaires ne permettait pas à un chef de compter sur ses troupes au jour de la bataille.

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Dès le 11 juillet, le général Kornilov, nommé commandant en chef du front Sud-Ouest, adressait au gouvernement provisoire sa fameuse dépêche (dont copie fut envoyée au commandement suprême) : « Une armée d’ignorants affolés est en fuite… » ([2]) ; il exigeait le rétablissement de la peine de mort ; dans cette dépêche il disait : « La patrie court à sa perte, je l’affirme ; voilà pourquoi, bien qu’on ne me demande pas de conseils, j’exige l’arrêt immédiat de l’offensive sur tous les fronts, afin de sauver l’armée et de la réorganiser selon les préceptes d’une discipline sévère. Il serait criminel de sacrifier les quelques héros qui ont le droit de vivre des jours meilleurs ».

Malgré le ton singulier de cet écrit, l’idée d’interrompre l’offensive fut aussitôt adoptée par le haut commandement. D’ailleurs l’interruption se produisit d’elle-même, avant qu’on eût reçu les directives d’en haut : l’armée n’avait plus envie de se battre, elle

  1. Danilov fit partie, en qualité d’expert, de la délégation bolcheviste qui conclut la paix de Brest-Litovsk. En 1920 il avait un poste dans l’armée russe de Crimée.
  2. Voir le chapitre XVII.