Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/41

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et des réponses aux questions angoissantes soudainement posées par la vie.

Cependant, le même jour du 27 février fut lancée de l’enceinte du palais de Tauride la déclaration suivante :

« Citoyens ! Les représentants, siégeant à la Douma, des ouvriers, des soldats et de la population de Pétrograd, annoncent que la première réunion des représentants de ces groupes aura lieu ce soir, à 7 heures, dans le local de la Douma d’Empire. Toutes les troupes qui ont passé du côté du peuple doivent élire immédiatement leurs représentants, à raison d’un délégué par compagnie. Les usines éliront leurs délégués à raison d’un par mille ouvriers… »

Ce fait eut une influence fatale sur la marche ultérieure des événements : 1° il créait, simultanément avec le gouvernement provisoire, un organe du pouvoir non officiel, mais, sans aucun doute, plus puissant — le conseil des délégués ouvriers et de soldats, que le gouvernement ne fut pas de force à combattre ; 2° il donna au coup d’État politique et à la révolution bourgeoise les formes d’organisation et le caractère d’une révolution sociale, qui était impossible dans l’état où se trouvait le pays et qui ne pouvait s’accomplir sans des secousses terribles en un moment de guerre extérieure très grave ; 3° il établit un contact étroit entre le Soviet, enclin au bolchevisme et au défaitisme, et l’armée, introduisant dans ses rangs des éléments de fermentation appelés à la décomposer.

Et lorsque les troupes, avec leur commandement, défilaient en ordre parfait devant le palais de Tauride, ce n’était plus qu’apparence. Le lien entre les officiers et les soldats était déjà définitivement rompu, la discipline était brisée et les troupes de la zone de Pétrograd ne furent depuis et jusqu’aux derniers jours de leur existence qu’une bande de prétoriens soviétistes dont la force grossière et obscure pesa sur le gouvernement provisoire. Plus tard, tous les efforts de Goutchkov, de Kornilov et du Grand Quartier, tendant à les influencer ou à les faire partir au front, demeurèrent vains, se heurtant à l’opposition véhémente du Soviet.

Les officiers connaissaient en eux-mêmes un drame pénible, placés qu’ils étaient entre la fidélité à leur serment, la méfiance et l’hostilité des soldats et l’empire de la nécessité. Un petit nombre d’officiers opposèrent une résistance armée à l’insurrection et périrent pour la plupart, quelques autres s’abstinrent de toute participation réelle aux événements, mais la majorité, se trouvant dans les régiments qui avaient encore conservé un ordre relatif, cherchait auprès de la Douma la réponse aux questions que leur posait leur conscience tourmentée.

Une grande réunion d’officiers présents à Pétrograd vota le 1er (13) mars la résolution suivante : « en pleine communion avec le peuple… reconnaissant que pour terminer victorieusement la guerre, il faut organiser au plus vite l’ordre et travailler d’un commun