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Page:Desjardins - Les Juifs de Moldavie, 1867.djvu/11

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s'y livrer à la culture. Or le Juif, essentiellement propre au négoce, comme il l'était jadis à la vie pastorale, répugne beaucoup à quitter l'échoppe obscure et la petite industrie, l'usure à la petite semaine et les mille commerces ténébreux, pour la vie rude au grand air, sur un sol qui réclame des bras énergiques et ne donne qu'à celui qui l'aime. Le Juif n'a pas de patrie; ce grand mot romain et moderne est encore vide de sens pour la plupart des Juifs de l'Orient. Au temps des patriarches, il aimait déjà la vie nomade ; il n'y avait point d'exil pour lui, et son pays n'était marqué dans le monde que par les ossements de ses pères. Aujourd'hui, il n'appartient à aucune nation, n'a aucun drapeau, et ne se laissa pas gagner même par ceux qui le font riche. Il continue ses pérégrinations, un coffre sous le bras, et colportant ses services intéressés et son ingrate prospérité.

Les mesures prises en Russie produisirent l'effet attendu par le gouvernement de ce pays. Il y en eut bien peu qui consentirent à promener la charrue dans les steppes du Don et du Dniéper ; les autres émigrèrent. Cet exil fut aggravé encore par une autre mesure toute fiscale. On imposa, en Russie, la robe longue à 50 roubles, et chaque tire-bouchon à 25 roubles. Il fallut donc, pour l'Israélite pauvre et sans domicile, opter entre la culture du sol, le renoncement à sa coiffure et au vêtement héréditaire, la dure et humiliante taxe du tire-bouchon, ou la fuite. Mais il y'avait, ah Moldavie, des règlements pour la défense des frontières contre le flot envahissant des vagabonds étrangèrs. Seulement la sévérité de ces règlements se relâchait à la vue de la pièce blanche; et les gouvernements antérieurs se faisant les complices de la dérogation complaisante, livraient le sol national à ces mendiants corrupteurs, qui achetaient ainsi une patrie