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Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/156

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les opiniâtres

deux bouts séparés de son existence de défricheur forestier, il avait cru pouvoir les joindre par un gros nœud sommaire. À l’expérience, il constatait que l’opération ressemblait à une épissure ; aujourd’hui, il liait le brin de l’habileté physique ; plus tard, celui de la résistance ; dans quelques semaines, celui de l’ardeur, du calcul, du rêve.

Malgré sa bonne volonté, quelques torons demeureraient irrémédiablement pendants. Par exemple, Pierre ne distinguait plus la possibilité d’aménager complètement son domaine ; il abandonnait dès ce moment de grands pans de travail projetés avec soin ; la construction de la maison définitive reculait dans un avenir incertain ; il n’atteindrait pas l’aisance rêvée. Crainte d’une guerre nouvelle, il amputait ses initiatives, comprimait ses plans. Il connaissait le tourment des desseins entrepris et non exécutés. Et, ses ambitions émondées, ayant perdu en cours de route, la force rayonnante, l’assurance et les certitudes de l’adolescence, il persévérait parmi les fatigues de l’après-midi, dans l’ombre du soir, avec la pensée qu’il ne laisserait qu’une ébauche d’œuvre.

Mais Pierre possédait trop d’énergie pour s’abandonner. Il recouvra ses dispositions d’autrefois et le don de s’abstraire de son milieu et de s’oublier dans son travail. Parfois il se faisait penser à ces têtards que les bûcherons éciment régulièrement mais qui, malgré les ablations répétées, ne se lassent jamais d’allonger des repousses supérieures.