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Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/158

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les opiniâtres

dormirait point cette nuit, il aurait froid, la lune illuminerait ce paysage de dureté.

François ne revenait pas. L’obscurité de la nuit devint très dense. Pierre se leva, regarda dans une direction, puis dans l’autre. Il s’apaisa. Plus tard, il monta sur les rebords de la cavité qu’il avait creusée et il cria. Sa voix perdait tout volume en cette immensité. Il s’avança ; cependant, il craignit de s’égarer loin du feu et il revint.

Il hucha de nouveau. Cette fois, François répondit à son appel.

— Où es-tu allé ?

— Moi ? Je savais qu’il y avait un ours non loin d’ici ; j’ai trouvé sa ouache.

— Tu ne craignais pas de t’écarter ?

— Moi ? Tu veux rire, papa.

Pierre tendit à son fils les aliments qu’il avait apportés. Il le regardait se gaver. Il l’examinait ; quinze ans bientôt, en voie d’étirage, efflanqué comme un lévrier, des maxillaires solides, des yeux noirs, souvent mauvais et durs, qui se braquaient dans les yeux.

— L’orignal pèse dans les mille livres.

— Il faudra le débiter pour le charger sur la traîne.

François alluma sa pipe. Parfois un coup de vent passait et les squelettes d’arbres dressés tout autour d’eux ronflaient un moment et craquaient.

— Et alors toi, mon François, qu’en penses-tu de la guerre avec les Iroquois ?

Surpris, le jeune homme leva les yeux sur son père ; personne ne lui avait jamais demandé son avis encore. Mis en confiance, il parla :

— Rien de plus idiot, papa, que de s’encaquer dans un fortin pendant des années. Nous sommes prisonniers. Les Iroquois se dissimulent autour des palissades ; si nous sortons, ils nous voient approcher, ils tirent, ils nous assomment.

— Mais que faire ?