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Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/169

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— VIII —

Ysabau descendit la berge jusqu’à l’embarcadère. La veille, les derniers champs de glace, des pans de plusieurs arpents, avaient glissé lourdement vers la mer. Et maintenant ne suivaient plus de loin que de petits glaçons bousculés, étrangement blancs, qui filaient avec vélocité dans l’eau limoneuse.

Ysabau distingua le canot que François montait ; un canot tout petit, construit pour la chasse et les rivières rapides du printemps. Il venait à vive allure, la proue levée et battante, chevauchant les puissants bouillonnements surgis des profondeurs ; il semblait devancer l’élan des eaux dévalantes et projeté par le courant, aller plus vite que lui. Assis à l’arrière, François ne se servait de sa pagaie que pour gouverner. Et Ysabau sentait le cœur lui battre à coups précipités.

— Bonjour, petite maman, lui cria François en sautant sur la grève.

— François, tu me feras mourir. Pourquoi ne te sers-tu pas du grand canot ?

— Mais non, je ne pourrais remonter le fleuve. Puis, tu sais, j’ai sauté des rapides plus dangereux.

Grand, mince, un peu courbé, François gravissait la berge à côté d’Ysabau.

— Rien de nouveau au fort ?

— Non. Rien de nouveau… Mais c’est le printemps vois-tu ? maman, l’époque où les Iroquois nous envoient des partis de guerre. Il faut s’attendre un peu à tout… Mais ne t’inquiète pas, maman ; pas encore, du moins.

Avec sa vivacité de mouvement, Ysabau s’arrêta net, fit face ; droite et grave, elle regarda son fils.

— Tu me caches quelque chose, François ?