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Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/173

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les opiniâtres

nuance plus pâle que dépassaient des bavures lumineuses ; il s’insérait entre les ramilles de la tête des arbres. Jacques et François étaient partis à la suite du bœuf qui déambulait la tête basse, au ras du sol, comme s’il eût été impuissant à la soutenir.

L’air devenait plus frais. Pierre endossa son gilet ; la hache à la main, il observa la coupe. « Voilà », dit-il encore.

La troisième guerre s’ouvrait ; la Nouvelle-France n’était pas plus préparée qu’à l’heure de la première. Quelques soldats, quelques colons, quelques enfants de plus, oui ; mais la coalition laurentienne avait disparu : seules quelques bandes survivantes s’étaient dispersées à l’ouest, dans des territoires mal connus. Sur le fleuve demeuraient découverts, sans protection, comme des maisons non entourées d’arbres, les trois postes : Ville-Marie, Trois-Rivières, Québec exposés aux tempêtes.

Un accablement courba Pierre. Faudrait-il plonger de nouveau dans l’épouvante de cette guerre d’embûches, vivre dans une tension de sacrifices et de persévérance ? « Qui aura la chance de survivre quand le nouvel orage aura passé ? » se demandait Pierre. Ysabau, Yseult, Ysolde courront le risque de la capture et du supplice. Mes fils ont atteint l’âge de combattre. Et, moi, je devrai abandonner mon entreprise encore une fois ».

Soulevant le faix de ses pressentiments, Pierre se dirigea vers la maison. Il examinait au passage l’ouvrage commencé ; la coupe où toutes les souches rasées au même niveau, donnaient l’idée d’une massive colonnade de temple égyptien fauchée d’un coup par quelque bûcheresse géante ; les pâtis pourrissaient et se consommaient, vermoulues, les souches plus anciennes ; les emblavures où ne pointaient plus ici et là, qu’un noir chicot rongé par le feu ou de grosses racines lentes à se