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Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/31

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les opiniâtres

Pierre s’approchait. Il entendait les vociférations, il voyait les déformations des visages bariolés de vermillon, de noir, de vert. Et il demeurait là, interdit, devant la crudité de cette sauvagerie hystérique. Et toujours s’exhalaient les plaintes des suppliciés, pareilles à celles des bêtes dont le cœur vient de s’ouvrir sous le couteau.

Et c’est alors que survint, très calme, un missionnaire jésuite : le père Buteux. Un silence, et il se dressa debout devant les prisonniers. Pierre de Rencontre l’entendit parler dans une langue inconnue. Doux tout d’abord, les mots atteignirent vite un accent passionné. Puis ils cessèrent. Comme une harde mâtée, mais toujours rancunière, les Indiens délièrent les prisonniers et retournèrent en leurs wigwams.

Alors Pierre constata que la nuit l’enveloppait. Il revint par le rivage. Une voix l’interpella dans l’obscurité…

Sur la barbette, ils se tenaient là maintenant, trois hommes au ras du fleuve clapotant : Jacques Hertel, plaisant, animé, de corps léger et d’esprit fin ; Jean Nicolet, explorateur hardi de l’ouest, bel homme aux moustaches et aux cheveux blonds bien frisés, mais probe, judicieux, amène ; Pierre de Rencontre, un qui interroge et qui écoute, et qui absorbe la nouveauté du pays par ses couleurs, ses bruits, ses parfums.

Hertel et Nicolet continuèrent leur conversation. Le mot « Iroquois » y revenait sans cesse. Alors Pierre s’enquit. Et Nicolet parla :

— Tu vois le fleuve ? On se glisse hors du couvert de la futaie, comme d’une maison, et voilà, il est là, ensoleillé, frais, bruissant, ouvert, venteux. C’est le chemin de Roi du pays. Qui le commande possède le gibier, le poisson, le commerce. Alors, il fascine les hommes. De race algonquine, nomades, les premiers possesseurs voltigent dans leurs canots d’écorce de bouleau. Très loin, au sud-ouest, se dresse un jour une dure