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Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/57

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les opiniâtres

bûche » du soir au matin, comme s’il eût voulu fuir une persécution. David Hache devina vaguement le malaise.

— Avec les arbres, avec la mer, dit-il, comment s’ennuyer ?

Péniblement, avec des mots à lui, il tentait de s’expliquer.

— Les arbres, ce n’est pas de pierre, c’est vivant comme des hommes ; on le voit bien en hiver.

La formule de Le Fûté s’avéra aussi compacte qu’obscure. Pierre examina les troncs dénudés qui jaillissaient de la neige.

Voici par exemple un noyer cendré qui avait subi le malheur de jouir de trop d’espace et d’être trop favorisé par la nature ; il avait pris ses aises ; il avait mangé, il avait bu tout son saoul ; il s’était épaissi dans la mollesse. À quinze pieds au-dessus du sol, il avait épanoui des branches lourdes autour de son tronc. Court et difforme, il ressemblait à un porc bien gras vautré dans ses vices. Alors, parmi tout ce bois, il ne se rencontrerait ni une planche saine ni un soliveau.

Un peu plus loin, un hêtre captait les regards de Pierre. Son fût droit, dodu dans l’écorce lisse et argentée, ressemblait au corps d’une femme dont la chair dure ferait éclater la peau ; il mesurait quatre-vingts pieds de hampe avant d’ouvrir au soleil une aigrette de ramilles. Celui-ci avait dû lutter toute sa vie. Né dans un épais perchis, des rivaux l’avaient serré de près. Mais l’orgueil et la volonté l’avaient animé ; il voulait dominer. Alors, il s’était concentré dans une énergie de croissance. Pas d’heures d’indolence, pas de déperdition de forces dans la fantaisie des branches. Toujours tendu, ramassé dans un effort, il avait monté. Tout avait résisté dans son organisme durant ce long ouvrage. Alors, il avait gagné la partie : il était devenu bois d’œuvre, maîtresse poutre capable de porter une maison, ou planches