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Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/63

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les opiniâtres

Pierre qui l’a faite ; il en a envoyé une cargaison ». Je l’ai dans mes bagages.

Moqueuse et tendre, elle souriait tout en parlant.

— J’ai lu toutes tes lettres. Ta maman, Pierre… Quand tu as été parti, voilà, je ne voulais pas qu’elle pense que c’était moi… Je désirais me disculper, je tournais autour d’elle. Un dimanche, elle m’a abordée et m’a dit : « Venez me voir, Ysabau ». J’ai dit : « Oui ». J’étais contente. J’y suis allée. Elle m’a prise dans ses bras, elle m’a embrassée, elle a pleuré. Elle ne me parlait pas de toi : je voyais bien, elle n’avait aucune espérance. Moi, j’étais quelqu’un que tu avais aimée. Nous causions. Quand ta première lettre est arrivée, je rôdais autour, tu penses, je posais des questions ; je savais où elle était. Ta maman voyait bien où je voulais en venir. Enfin, je lui ai dit : « Je voudrais lire sa lettre ». Elle me l’a donnée. J’ai lu toutes tes lettres. Au commencement, je prenais un repas avec elle ; puis, plus tard, elle m’offrait ta chambre et disait : « Pourquoi ne passes-tu pas la nuit, Ysabau ? » Ma maman me disait : « Tu nous abandonnes, Ysabau, tu changes de maison ». Mais elle savait bien que ta mère était seule et qu’elle avait besoin de compagnie. Et nous nous racontions des choses. Quand je lui ai dit : « Je pars pour la Nouvelle-France, belle-maman », elle est demeurée saisie. Ah, tu sais, elle m’a remis d’aplomb, ta mère. Un mot ici, un mot là. C’est sa bonté, je crois. Elle m’a faite à l’image de l’épouse qu’elle voulait pour son Pierre. Quand elle me répétait certaines choses avec sa voix, avec ses yeux. Et puis, tu sais, elle était bien inquiète à l’idée de nous voir, tous deux, perdus en ce pays.

Mais la même pensée revenait toujours à Pierre : diriger un peu Ysabau vers la terre et les modestes plantes. Et un peu doctoralement, il disait :