Aller au contenu

Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
70
les opiniâtres

domaine aurait besoin, plus tard. L’érablière en ferait partie ; elle avait grande apparence déjà, avec ses fûts allongés sous l’aiguillon de la lutte pour la vie. Mais afin d’en retirer tout le revenu possible, il faudrait planter, émonder, déroder les fonds.

Comme l’heure de la dînette approchait, Pierre conduisit Ysabau à l’endroit qu’il préférait : le verger. Il était venu y travailler dans ses mauvais moments. Il avait dégagé de vieux noyers, il en avait planté de jeunes. Au hasard de ses promenades en forêt, il avait déraciné, transporté dans sa gibecière, transplanté les arbustes fruitiers qu’il avait trouvés : gadelliers, groseilliers, pruniers, noisetiers, cerisiers.

— Je sais, disait Pierre ; ce pauvre verger ne présente pas une bonne apparence ; la terre est riche et alors les herbes l’étouffent. Mais j’ai suivi un plan ; quand la végétation sera fauchée, tu verras les diverses plantes partagées en massifs et en rangs. Nous ne saurions les négliger, car l’importation ne nous fournira aucun fruit.

Pour la première fois peut-être, Pierre exprimait ses projets. Son enthousiasme le tenait bien. Sous l’impulsion de l’amour, il communiquait les pensées qui l’avaient animé pendant tous les mois d’isolement

— Alors, voilà, Ysabau. Nous possédons tout ce domaine, la fertilité de cette terre. Pourquoi ? Pour vivre. Quelle doit être ma grande idée ? En tirer le maximum des choses dont j’ai besoin. Je serais insensé si j’achetais ce que l’humus peut produire. Est-ce facile ? Non. Il faut être ingénieux, il faut y penser, il faut travailler. Garder constamment ce souci en tête. Vendre des produits ? Oui. Mais cette peine doit venir bien loin en arrière. Donner mon attention d’abord aux denrées de vie. La plupart choisissent parmi les dons du sol ; ils n’en acceptent qu’un petit nombre, ils dédaignent les autres. Ils prennent quelques