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Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/9

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— I —

Court et pansu, barbe et cheveux hirsutes formant une aire de foin blanc où nichait la figure rose, le capitaine hauturier Noé Jalobert surveillait le chargement de son navire dans le port de Saint-Malo. Jurant et riant comme un silène, il poursuivait, malgré sa lourdeur, les vaches beuglantes ; dans le soleil et la sonorité de cette matinée de mi-avril, il coltinait les colis aussi bien que les matelots, ou bien, une boîte à claire-voie remplie de poules au bout de chaque bras, il repoussait à coups de bottes vers des antres obscurs les agneaux qui glissaient sur le pont.

Puis, debout sur l’embelle, les pieds largement écartés, il dirigea l’arrimage d’un reste de provisions : barriques d’eau douce, feuillettes de cidre, barils de biscuits de mer, de riz, de pois, de lard, de bœuf salé et de farine, fourrage et grains, ameublements de colons et marchandises de traite pour les factoreries de la Nouvelle-France.

La nave de deux cents tonneaux s’enfonçait ligne à ligne. Mafflée comme son maître, construite de plançons de chêne chevillés, lourde, elle ne sacrifiait rien à la fantaisie ou à l’élégance. Dans son accastillage, ses manœuvres courantes et dormantes, elle exhibait les cicatrices de ses nombreux voyages aux mers du Ponant.

Des ruelles, les passagers débouchaient sur le port. Un jeune homme s’avança parmi eux d’un pas dur. Grand, les membres solides, il marchait vite ; sans ralentir, il traversait les groupes et contournait les obstacles. Mâchoires fermées, lèvres serrées sur les dents, regards lointains et peu mobiles, il fonçait sur son but.

Le capitaine le reçut sur le tillac, au milieu d’un rassemblement :