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Page:Dessaulles - Lettres de Fadette, cinquième série, 1922.djvu/138

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du papier de soie, dans la commode d’en haut, et je sais pas quand je la mettrai, à quelque noce peut-être… plus tard. Tenez, en voilà une autre en popeline brune, je l’ai depuis cinq ans, et je l’ai mise quatre fois.

— Mais pourquoi as-tu des robes alors ? Pour les garder dans tes armoires ?

— Je les garde pour plus tard…

— En attendant on te voit toujours dans ta vieille robe de mérinos changée qui a l’air aussi ancienne que moi. Quand tu porteras tes belles robes, elles seront devenus anciennes, aussi.

« Ben entendu qu’elle n’a pas fait de cas de ce que je lui disais : c’était une bonne femme, mais ça se croyait capable de conseiller le bon Dieu sur la manière de conduire le monde ! Un bon jour, elle prend une pomonie qui la fait mourir. Au bout de l’an, Michon se remarie, et c’est la seconde Michon qui a usé les belles robes. Et c’est comme ça ! Il n’y en a pas assez qui profitent chaque jour de la joie de chaque jour qui est à leur portée. Les autres attendent toujours quelque chose de mieux : ils se reposeront plus tard, ils s’achèteront ce qu’il leur faut plus tard, quand ils seront vieux. Et pendant qu’ils sont jeunes, ils se piètent, et ils se lamentent et ils disent que la vie n’est pas drôle !

Avec l’expérience que j’ai, je sais que ce n’est pas prudent d’attendre d’être vieux pour jouir de la vie. Pourtant, moi j’ai tou-