Aller au contenu

Page:Destrée - Le Secret de Frédéric Marcinel, 1901.pdf/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
16 —

On aéra le taudis ; l’ivrogne fut couché sur une des paillasses et les soins indispensables donnés à la blessée ; puis le juge et le gendarme redescendirent l’escalier nauséabond, tous deux profondément troublés et perdus en des songeries divergentes.

Le président rompit le premier le silence. — Frédéric, il faudra dresser procès-verbal. Coups, ivresse, provocation habituelle à la mendicité, tout cela doit être poursuivi et sévèrement puni.

— Punir ? Encore ! fit douloureusement le gendarme. Punir toujours ! Élargir sans cesse la blessure ! Et non, Monsieur le Président. Il ne faut plus punir, croyez-moi. Et si je vous ai mené ici, ce n’est point pour vous faire voir un délictueux spectacle d’horreur et de tristesse, mais pour vous prouver, sur le vif, que vous et moi, nous avons trop puni, déjà. Ce que vous avez vu, c’est mon œuvre,… et la vôtre.

— Ah ! par exemple ! Mais tu deviens fou, mon ami !

— J’ai bien pensé que vous me diriez ceci, Monsieur le Président : on est souvent fou pour ceux dont on heurte fortement les idées. Mais laissez-moi, tout au moins, vous expliquer ma folie. Vous souvenez-vous de l’affaire Quinet ?

— Quinet ? Non, pas du tout.

— Je l’aurais juré. Je ne m’en souviendrais pas non plus, sans doute, si le hasard ne m’avait brutalement confronté avec ce condamné. Et dire, ajouta-t-il avec un accent de désespoir infini, que vous et moi nous avons dans notre passé, des centaines peut-être de Quinet, dont nous ne nous souvenons même pas !… Ce Quinet était un ouvrier ajusteur