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Page:Destrée - Le Secret de Frédéric Marcinel, 1901.pdf/39

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Le Président formula :

— C’est une théorie bien dangereuse. Je puis l’admettre, dans les traités, à titre purement spéculatif, mais il serait imprudent de l’appliquer à l’audience. Si une telle défense pouvait être accueillie, vous verriez tous les prévenus se réclamer de la nécessité. Tous les voleurs essayeront de vous apitoyer sur leur misère.

— Si elle est vraie, — et très souvent elle sera vraie, — pourquoi refuserais-je d’en avoir pitié ? Qui sait ce que nous aurions fait, nous tous, si l’existence nous avait été aussi dure qu’elle l’est à certains ?…

Cette observation parut irrévérencieuse au Président. Tandis qu’Adonis, décidément absent, suivait d’un œil vague la danse des flocons blancs, au dehors, il riposta par un coup droit :

— Mais dites-moi, Jacquard, si vous pensez ainsi, pour quoi ne le manifestez-vous point plus souvent dans les jugements que nous avons à rendre ?

— Oui, pourquoi ? fit son interlocuteur avec mélancolie. Pourquoi ? Je ne sais, bien que j’y aie souvent pensé. Car c’est un problème général : il y a dans la magistrature beaucoup de bonnes gens, beaucoup de braves cœurs, et je connais de certains d’entre eux, dans leur vie privée, des traits de bonté simple, vraiment grands et touchants. Comment se fait-il que ces mêmes hommes, une fois occupés de juger d’autres hommes, se montrent si dépourvus d’humanité ? Les uns, comme vous, Monsieur le Président, se conduisent ainsi parce qu’ils le croient nécessaire ; mais les autres, comme moi, par exemple, suivent aussi la tradition, bien qu’ils aient des doutes sur sa légi-