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Page:Destrée - Le Secret de Frédéric Marcinel, 1901.pdf/59

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— Mais si, mais si ! C’est précisément là le fond de ma pensée : je ne conçois point la loi avec cette rigidité de pierre. Je la veux mobile, changeante, s’adaptant avec aisance à l’infinie diversité des contingences. Si elle est susceptible de plusieurs acceptions, je réclame le droit de choisir celle qui me permet de rendre la meilleure justice…

— C’est cela, vous vous substituez au législateur ! Vous vous insurgez contre l’ordre établi que votre mission est de conserver !

— Je n’en crois rien. L’ordre établi ne veut pas que nous soyons les serfs d’une consigne. Le législateur n’a pas voulu nous enlever toute initiative et toute liberté. Il s’est borné à nous fixer quelques indications générales, nous laissant la mission ardue d’y conformer les espèces. Nous lui devons obéissance, certes, mais une obéissance qui raisonne, qui apprécie, qui juge…

— Ça peut mener loin !

— Assurément ; et il serait trop aisé de me réfuter en exagérant mon raisonnement. Mais ce serait mal le comprendre. Je veux simplement dire qu’il n’est point fondé chaque fois qu’une décision heurte le bon sens ou l’équité, d’accuser la loi. Il y a, en vérité, très peu de mauvaises lois ; il y a surtout de mauvais juges. Il n’y a point dans l’histoire un Parlement ou un dictateur qui ait eu l’intention de froisser le bon sens ou l’équité. Quand le magistrat aboutit à ce résultat, c’est sa faute, sa seule faute : il a manqué d’énergie et de hardiesse en n’usant pas avec liberté du pouvoir lui conféré. À part quelques exceptions assez rares, la loi nous permet de faire tout ce qui nous semble devoir être fait, mais le plus souvent, nous ne