Aller au contenu

Page:Destutt de Tracy - Élémens d’idéologie, première partie.djvu/457

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de communiquer nos idées. Leur propriété la plus importante est de nous aider à combiner nos idées élémentaires, à en former des idées composées et à fixer ces composés dans notre mémoire.

Nous avons vu que nous n’avons plus dans nos têtes que des idées abstraites et généralisées, et qu’elles n’ont pas d’autre soutien dans notre esprit que le signe qui les représente.

C’est-là un fait dont on peut donner mille preuves, et entr’autres celle-ci : c’est que sans noms de nombres nous pourrions à peine avoir nettement l’idée de six. Or, que l’on songe qu’il n’y a presqu’aucune de nos idées qui ne soit plus composée que celle de six, et l’on verra où nous en serions sans les signes, et où nous en étions avant de les avoir un peu perfectionnés.

La cause de cet effet des signes me paraît être que nos perceptions purement intellectuelles sont très-légères, et par là même très-fugitives, parce que les mouvemens internes par lesquels elles s’opèrent ébranlent très-peu le système nerveux ; or, le signe en s’y joignant, les fait participer à l’énergie de la sensation dont il est la cause. Il constate et fixe le résultat d’opérations intellectuelles dont le sentiment disparaît. Il devient une formule que nous nous rappelons facilement, parce qu’elle est sensible, et que nous employons dans des combinaisons ultérieures, quoique nous ayons oublié le mode de sa formation.

Ainsi, nous sommes aussi réellement conduits par les mots dans nos raisonnemens que l’algébriste par ses formules dans ses calculs. Si le résultat n’est pas complètement le même dans les deux cas, la différence tient à la nature des idées, mais le mécanisme est pareil.