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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/100

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pendant que le major faisait manœuvrer sa petite artillerie et semblait s’inquiéter de l’effet qu’elle produisait sur lui.

Le major s’était assuré une oreille attentive et un visage souriant, qui n’avait pas son pareil dans le monde, ou pour tout dire « un garçon diablement intelligent et agréable, » comme il le déclara dans la suite ; mais il ne comptait pas le tenir quitte pour quelques petites allusions personnelles à M. Dombey ; aussi, quand on eut retiré la nappe, le major s’abandonna à toute sa verve, se mit à débiter une foule d’anecdotes de corps de garde plus invraisemblables les unes que les autres. En ce genre il était intarissable, au point que Carker était ou feignait d’être à bout d’éclats de rire et d’admiration, tandis que M. Dombey le regardait avec intérêt du haut de sa cravate. On aurait cru qu’il se considérait comme le propriétaire du major, ou plutôt il avait l’air de ces montagnards dans les foires qui se montrent tout fiers du succès obtenu par leur ours dans l’exécution de ses danses élégantes.

Lorsque le major se fut trop enroué à force de boire, de manger et de faire de l’esprit, et qu’il fut devenu par trop énigmatique, on se rendit au café. Là le major demanda à M. Carker, le gérant, s’il jouait le piquet. Il était visible qu’il comptait sur une réponse négative.

« Oui, je joue le piquet un peu, dit M.  Carker.

— Le trictrac peut-être, dit le major en hésitant.

— Oui, je joue le trictrac un peu aussi, répondit l’homme aux belles dents.

— Carker joue à tous les jeux, je crois, fit M. Dombey en s’étalant sur un sofa avec la roideur d’une statue qui se couche, et il y joue bien. »

En réalité, Carker jouait les deux jeux en question dans la perfection, au point que le major, ébahi, lui demanda, à tout hasard, s’il jouait aux échecs.

« Oui, un peu, répliqua Carker ; j’ai joué quelquefois et gagné la partie… histoire de rire… sans regarder l’échiquier.

— Corbleu, monsieur, dit le major les yeux tout grands ouverts, vous contrastez avec Dombey, qui ne joue à rien.

— Oh ! lui, repartit le gérant, il n’a jamais eu l’occasion l’acquérir ces petits talents d’agrément. Mais, à des hommes comme moi, les jeux sont quelquefois utiles. Par exemple, je leur sais gré de me fournir aujourd’hui, major Bagstock, l’occasion de me mesurer avec vous. »

Et pourtant, sous ce langage d’un homme qui se faisait