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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/103

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pour arriver à un endroit où l’on pouvait aller facilement en moitié moins de temps, M. Carker enfila les grandes allées d’arbres, passant tantôt devant celui-ci, tantôt devant celui-là, imprimant sur le sol tout humide de rosée une chaîne de pas en feston.

Il ne tarda pas à s’apercevoir qu’il s’était trompé en supposant qu’il n’y avait personne dans le bois ; car, pendant qu’il marchait lentement autour d’un gros arbre dont l’écorce rude et noueuse rappelait la peau d’un rhinocéros ou d’un animal antédiluvien, il vit, à sa grande surprise, une personne assise tout près de lui sur un banc, qu’il aurait volontiers, sans cela, compris dans la chaîne qu’il formait avec ses pas.

C’était une belle dame d’une mise élégante, dont les fiers yeux noirs étaient fixés sur le sol, et qui paraissait fort agitée. Ainsi, pendant qu’assise sur son banc, les yeux baissés, elle se mordait le coin de la lèvre inférieure, son sein se gonflait, ses narines tressaillaient, sa tête tremblait, des larmes d’indignation inondaient ses joues, et son pied pressait le gazon comme si elle l’eût volontiers réduit en poussière. Au même moment, Carker la vit se lever ; son air méprisant ne trahissait qu’ennui et que fatigue, et, en s’éloignant, son beau visage n’exprimait qu’insouciance et impérieux dédain.

Carker n’était pas le seul qui observât cette dame ; elle avait été aussi le point de mire d’une vieille femme à la figure laide et flétrie qui, par sa mise, ne semblait pas appartenir à la classe des bohémiennes, mais plutôt à cette race équivoque de vagabonds qui courent le pays en mendiant, en volant, en raccommodant les casseroles, en tressant des paniers de jonc, ou en faisant tour à tour tous ces métiers. Lorsque la dame se leva, la vieille, la regardant d’un air singulier, fit un bond, comme si elle sortait de terre, et vint se placer devant elle.

« Laissez-moi vous dire votre bonne aventure, ma belle dame, dit la vieille femme en remuant ses mâchoires, comme si la tête de mort encore cachée sous sa peau safranée avait hâte de se montrer à nu.

— Je puis me la dire moi-même, répliqua la dame.

— Oh ! oh ! belle dame, vous ne le ferez pas comme il faut ; vous vous la disiez fort mal tout à l’heure. Donnez-moi une pièce d’argent, belle dame, et je vous dirai votre bonne aventure, mais la vraie. Il y a de la fortune, belle dame, sur votre figure.

— Je le sais, reprit la dame en continuant son chemin avec un sourire sombre et une démarche fière ; je le savais déjà.