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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/109

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qu’il vînt, cher ange, il y ferait sa cinquante et unième visite le jour suivant.

— Nous sommes tous enthousiastes, n’est-ce pas, maman ? dit Edith avec un sourire glacial.

— Trop pour notre tranquillité peut-être, ma chère ; mais il ne faut pas nous en plaindre. Nos propres émotions sont notre récompense. Si, comme le dit votre cousin Feenix, la lame use le… comment dirai-je ?…

— Le fourreau, vous voulez dire peut-être, fit Edith.

— C’est cela. Si la lame use le fourreau un peu trop vite, c’est parce qu’elle brille et qu’elle étincelle, ma chère amie. » Mme Skewton poussa un gentil petit soupir, comme pour amortir l’éclat de cette lame, dont son cœur sensible était le fourreau victimé, et penchant sa tête sur son épaule, toujours comme Cléopatre, elle jeta à sa fille chérie un regard plein de tendresse rêveuse.

Edith avait tourné sa figure du côté de M. Dombey, la première fois qu’il leur avait adressé la parole. Elle était restée dans cette attitude, pendant qu’elle parlait à sa mère et que sa mère lui parlait, comme si elle était prête à écouter encore M. Dombey, dans le cas où celui-ci aurait encore quelque chose à lui dire. Dans cette attitude, qui semblait n’être qu’une simple politesse, il y avait comme un air de défi. Elle se sentait contrainte et exposée comme une marchandise, malgré elle. Cette expression de ses traits ne fut pas perdue pour ce même observateur toujours souriant à tout le monde. En la voyant ainsi, il se rappela l’impression qu’elle lui avait faite le matin, quand elle se croyait seule sous les arbres.

M. Dombey, n’ayant plus autre chose à dire, proposa, lorsque le déjeuner fut terminé, et que le major se fut repu comme un boa constrictor, de partir à l’instant même. Une voiture attendait, d’après les ordres de M. Dombey, et les deux dames, le major et lui se placèrent dans l’intérieur ; le nègre et le page au teint blême montèrent sur le siège, Towlinson resta derrière, et M. Carker, à cheval, fermait la marche.

M. Carker allait au trot derrière la voiture à quelques mètres de distance, sans la perdre de vue pendant tout le voyage, comme un matou qui surveillerait les quatre souris dans l’intérieur. Il avait beau regarder à droite et à gauche sur la route et contempler le paysage accidenté avec des moulins à vent, du blé, du gazon, des champs de haricots, des fleurs sauvages, des fermes, des meules de foin, des clochers au-