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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/129

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tout naturellement la vieille maison qu’il habitait et qui prenait, dans ce souvenir, des droits assurés sur le cœur de Florence.

L’impétueuse Suzanne Nipper se calmait aussi, en songeant qu’elles retournaient toutes les deux dans une maison qu’elles habitaient depuis tant d’années. Quelque triste que fût cette demeure (et elle ne cherchait pas à en dissimuler l’ennui), Suzanne fit cependant ce qu’elle put pour l’oublier.

« Je serai bien aise de la revoir, mademoiselle, disait-elle : certes, il n’y a pas de compliments à lui faire, mais je ne voudrais pourtant pas la voir brûlée ni démolie.

— Vous serez encore bien contente de traverser ces vieux appartements, n’est-ce pas, Suzanne ? dit Florence en souriant.

— Oui, mademoiselle, répondit Nipper, s’adoucissant de plus en plus, à mesure qu’elles approchaient ; je ne peux pas dire que je n’en serai pas bien aise, quoique probablement je me remettrai à la détester demain. »

Florence, de son côté, se plaisait à penser qu’elle trouvait dans l’intérieur de cette habitation une paix plus profonde que partout ailleurs. Il valait mieux garder ses secrets au milieu de ces murailles hautes et sombres, plutôt que de les mettre au grand jour ou d’essayer de les cacher à une foule de visages heureux. Il valait mieux laisser son cœur aimant poursuivre son étude seul, plutôt que de s’exposer à trouver sans cesse des motifs de découragement dans le spectacle des cœurs aimants et aimés qu’elle voyait autour d’elle. On était plus à son aise pour espérer, pour prier, pour continuer d’aimer, sans autre préoccupation, avec résignation et patience, dans le tranquille asile de tous ces souvenirs ; quoiqu’on y vît partout des traces de vétusté, de rouille et de ruine, cela valait mieux que d’aller chez les autres s’abandonner aux caprices de sa gaieté. Elle rentrait avec plaisir dans l’ancien rêve enchanté de son existence et aspirait encore une fois à voir se refermer sur elle la vieille porte noire.

Florence était pleine de toutes ces pensées, lorsque la voiture tourna dans la rue longue et sombre : Florence n’était pas assise du côté de la maison Dombey, et à mesure que l’éloignement diminuait, elle regardait par la portière si elle ne verrait pas les enfants de la maison vis-à-vis.

Une exclamation de Suzanne la fit sortir de sa rêverie ; elle se retourna vivement.