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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/145

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en frissonnant, qu’il allait y avoir quelque chose. Ah ! que ne l’ai-je su plus tôt, Lucrèce ! Quand je songe qu’un instant a suffi pour détruire une confiance de tant d’années, que mes yeux se sont ouverts tout d’un coup et que je vous vois enfin sous votre véritable jour ! Lucrèce, je m’étais bien trompée sur votre compte. Pour vous comme pour moi, il vaut mieux en rester là. Je vous souhaite d’être heureuse, et je vous le souhaiterai toujours. Mais pour moi personnellement qui désire conserver, sans la compromettre, ma petite position sociale, quelle que soit cette position, en qualité de sœur de mon frère, de belle-sœur de la femme de mon frère et de parente, par alliance, de la mère de la femme de mon frère, me permettrez-vous d’ajouter en qualité de Dombey, je ne puis rien vous souhaiter pour le moment que le bonjour. »

Ces mots furent prononcés d’un ton aigre-doux que tempérait et démentait le ton austère de l’orateur qui se dirigea vers la porte. Là, elle baissa la tête avec la froideur d’un spectre et d’une statue, et rejoignit la voiture pour y chercher une consolation dans les bras de M. Chick, son seigneur et maître.

Quand je dis dans les bras, c’est une figure qu’il faut pardonner aux auteurs, car le fait est que M. Chick, en ce moment, était tout à son journal. M. Chick ne regarda seulement pas sa femme, si ce n’est de côté, quand elle monta ; mais pour des consolations, point. Bref, il continua de lire, fredonnant des tra-la-la, et lui lança de temps à autre un coup d’œil à la dérobée, sans d’ailleurs lui adresser un mot.

Pendant ce temps, Mme Chick se gonflait, et faisait de la tête comme si elle envoyait encore à miss Tox cet adieu solennel qui avait signalé sa sortie.

À la fin, elle s’écria tout haut :

« Dieu ! comme mes yeux se sont ouverts aujourd’hui !

— Comme vos yeux se sont ouverts, ma chère, répéta M. Chick.

— Oh ! ne me parlez pas, dit Mme Chick ; puisque vous avez le cœur de me voir dans cet état-là, sans me demander seulement ce que j’ai, vous feriez mieux de vous taire pour toujours.

— Qu’est-ce que vous avez, ma chère ? demanda M. Chick.

— Quand on pense, dit Mme Chick dans une espèce de monologue, qu’elle avait nourri la basse pensée d’entrer dans notre famille en se mariant avec Paul ! Quand on pense, que lorsqu’elle jouait au dada avec ce cher enfant qui est aujour-