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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/151

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lement par le peu de cas qu’elle en faisait, et le mépris des avantages qui s’y rattachent ; enfin, cette Edith qui se promenait dans les grands salons et dans les vestibules était bien la même qui, sous l’ombrage épais, avait trahi les luttes terribles de son âme sous l’œil curieux de Carker.

Les roses, représentées sur les murs et sur le parquet, avaient des épines qui lui déchiraient le cœur ; chaque brin d’or qui brillait à son œil lui semblait une odieuse particule de la somme qui l’avait achetée ; les glaces, hautes et larges, qui la réfléchissaient de grandeur naturelle lui montraient une femme qui avait encore dans l’âme de nobles sentiments, mais qui était trop fausse à ses propres yeux, trop vile et trop misérable pour se relever jamais. Elle croyait porter si visiblement sur son front son déshonneur, qu’elle cherchait à le dissimuler en se retranchant derrière son orgueil et, grâce à cet orgueil qui torturait son cœur jour et nuit, elle luttait fièrement contre le destin, bravait et défiait le sort.

Était-ce bien là la femme que Florence, jeune fille innocente, qui n’avait d’énergie que dans son affection et dans sa confiance naïve, pouvait espérer de ramener à des impressions plus douces ? était-ce là la femme qui, à ses côtés, semblait avoir changé la violence de sa nature ? serait-il vrai que la jeune fille timide eût pu imposer silence aux tempêtes de son cœur et subjuguer jusqu’à son orgueil ? Était-ce bien là la femme qui, maintenant assise à côté d’elle dans une voiture, prenait ses mains dans les siennes, d’un air caressant, l’invitait à l’aimer, à avoir confiance en elle, approchait sa belle tête de son sein pour l’y laisser reposer, toute prête à renoncer à la vie pour défendre cette tête chérie contre toute atteinte du mal ?

Edith, quel bonheur pour vous, de mourir en ce moment ! Oui, vous seriez plus heureuse peut-être de mourir en ce moment que de continuer à vivre jusqu’au bout.

L’honorable Mme Skewton était bien loin de tels sentiments ; semblable en cela à bon nombre de gens très comme il faut, d’ailleurs, dans tous les temps et dans tous les pays, elle ne pouvait entendre parler de la mort et ne comprenait pas qu’on pût jamais songer à une chose si basse et si vulgaire. L’honorable Mme Skewton avait emprunté une maison à Brook-Street, Grosvenor-Square, à un illustre parent de la race des Feenix. Comme il n’habitait pas la ville, il la prêta sans difficulté pour ce mariage ; il l’offrit même d’autant plus volontiers qu’il espérait, grâce à ces événements, être délivré pour toujours des