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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/185

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Toutes les fois que ce triste tableau se présentait à l’imagination du capitaine Cuttle, il se sentait sur le front une sueur abondante et dans l’âme un profond découragement. Ce malaise momentané qu’il éprouvait l’obligeait de sortir un peu le soir pour prendre l’air et de l’exercice. Mais alors il comprenait si bien le danger auquel il s’exposait, qu’il prenait congé de Robin avec la dignité solennelle d’un homme qui peut ne revenir jamais : il l’exhortait, dans le cas où il viendrait à le perdre de vue pendant un certain temps, à marcher toujours dans le sentier de la vertu et à conserver toujours bien luisants les instruments de cuivre.

Cependant, pour ne pas renoncer à toute chance de salut et pour s’assurer les moyens de conserver des relations avec le monde extérieur, en supposant que les choses prissent la plus mauvaise tournure, il eut l’heureuse idée d’enseigner à Robin le rémouleur un signal, connu d’eux seuls, par lequel cet affidé pourrait, à l’heure du danger, faire connaître à son chef sa présence fidèle. Après beaucoup de réflexion, le capitaine s’arrêta au parti de lui apprendre à siffler l’air du marin :

« Eh ! gai, gai, gai ! mon officier. »

Robin le rémouleur atteignit à cet égard toute la perfection qu’on pouvait espérer d’un homme de terre ; le capitaine satisfait le pénétra des instructions suivantes de l’air le plus mystérieux.

« Maintenant, mon garçon, tiens bon ! Si jamais je suis pris !

— Comment ! pris ? capitaine, interrompit Robin en ouvrant tout grands ses yeux ronds.

— Eh bien, oui, dit le capitaine d’un air sombre, si jamais je pars avec l’intention de revenir souper, et que je ne revienne pas à portée de voix ; dans les vingt-quatre heures qui suivront ma disparition, va droit à Brig-Place et siffle l’air que je viens de te dire, tout près du vieux port où je suis resté si longtemps en amarre, surtout sans faire semblant de rien, tu entends ? Tu feras comme si tu flânais là par hasard. Si je te réponds sur le même air, détale, mon garçon, et reviens vingt-quatre heures après. Si je te réponds sur un autre air, cours bord sur bord en attendant que je t’envoie d’autres signaux. Comprends-tu mes ordres, dis ?

— Que je coure bord sur bord, capitaine ? demanda Robin. Est-ce sur le bord de la route ?

— Ne v’là-t-il pas un joli cadet, je vous le demande ! dit le