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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/203

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morceaux contre l’écueil où Walter avait fait naufrage. Le capitaine, assis dans la sombre boutique, pensait à tout cela, oubliant l’injure qu’il avait reçue. Les yeux tristement baissés vers la terre, il était comme plongé dans la contemplation de tous ces rêves anéantis, dont les débris flottants passaient devant ses yeux.

Toutes ces réflexions ne l’empêchèrent cependant pas de songer à ce qu’il devait à la mémoire du pauvre Walter. Il sortit de sa léthargie, et réveillant aussi Robin le Rémouleur, que l’obscurité avait endormi, il partit comme une bombe, suivi de son second, la clef de la boutique dans sa poche. Il se rendit dans l’un de ces magasins si bien approvisionnés qu’on trouve dans les quartiers situés à l’est de Londres et acheta sur-le-champ deux vêtements de deuil, l’un beaucoup trop petit pour Robin le Rémouleur, l’autre beaucoup trop grand pour lui-même. Il pourvut aussi Robin d’une espèce de chapeau à deux fins, également admirable pour sa forme et son utilité, car il pouvait, au besoin, passer aussi bien pour un chapeau de marin que pour un chapeau de charbonnier : c’est ce qu’on appelle ordinairement un sud-ouest, et, sur la tête de quelqu’un qui tenait une boutique d’opticien, c’était une nouveauté. Le capitaine et le Rémouleur se revêtirent de leurs nouveaux costumes, qui, au dire du marchand, leur allaient si bien que c’était merveille de les voir, et qu’il avait fallu pour cela qu’ils fussent nés coiffés, sans compter que la façon en était incomparable et sans exemple, de mémoire d’habitant indigène. En effet, le capitaine et Robin, ainsi accoutrés, étaient des objets de curiosité pour tous ceux qui les voyaient passer. Après avoir subi cette métamorphose, le capitaine reçut la visite de M. Toots.

« Eh bien, mon garçon, lui dit-il, je suis en détresse. Toutes les nouvelles sont mauvaises. Dites à la jeune bonne d’avertir avec ménagement sa maîtresse, et que toutes deux m’oublient ; surtout, dites-leur que cela ne m’empêchera pas de penser à elles toutes les fois que « la nuit viendra sur les ailes de la tempête et que la mer s’élèvera roulant ses flots comme des montagnes. » Ceci se trouve dans le docteur Watts ; cherchez-le et prenez-en note, mon cher frère. »

Le capitaine ajourna à une occasion plus convenable la question du savoir s’il devait accepter l’amitié que M. Toots lui avait offerte. Pour le moment, il le congédia. Bien mieux, il était tellement démoralisé qu’il était presque décidé, ce jour-