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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/238

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dans cette femme si belle cette froideur calme et fière. Comme ses manières n’en étaient pas moins élégantes ni moins gracieuses, c’était dans sa tenue un mérite de plus en harmonie avec son propre caractère. Il présida le repas, avec sa dignité habituelle ; mais, tout à fait incapable par sa nature de donner à sa femme la vivacité et l’entrain qui lui manquaient, il fit les honneurs de la table avec une satisfaction peu animée. Quoi qu’il en soit, le dîner d’installation, sans avoir eu à la cuisine un grand succès ou sans avoir donné beaucoup d’espérance pour l’avenir, ne laissa rien à désirer sous le rapport de la politesse, des convenances et de la distinction : il n’avait d’autre tort que d’être à la glace.

Aussitôt après le thé, Mme Skewton alla se coucher. Elle affectait d’être fatiguée d’émotion et toute hors d’elle-même, tant elle avait eu de joie du retour de sa chère enfant unie à l’homme de son cœur ; mais il est probable qu’elle ne trouvait pas fort gaie cette réunion de famille, car, depuis une heure déjà, elle bâillait derrière son éventail. Edith se retira aussi, sans dire un mot et ne revint plus. Si bien que Florence, qui était montée à sa chambre pour caresser un peu Diogène, en rentrant dans le salon avec son petit panier à ouvrage, ne trouva plus que son père qui se promenait de long en large au milieu d’une lugubre magnificence.

« Pardon, mon père. Dois-je me retirer ? dit Florence, d’une voie tremblante, en s’arrêtant à la porte.

— Non, répondit M. Dombey, en tournant seulement la tête, vous pouvez aller et venir comme il vous plaira, Florence. Cette pièce n’est pas mon cabinet. »

Florence entra et s’assit pour travailler devant une petite table éloignée. C’était la première fois de sa vie qu’elle se trouvait seule avec son père, qu’elle lui tenait compagnie, oui, la première fois depuis son enfance. Elle, sa compagne naturelle, son unique enfant ; qui, dans sa vie solitaire et dans sa douleur avait connu toutes les angoisses d’un cœur ulcéré ; elle, qui, voyant son amour repoussé, n’avait jamais manqué le soir de prier Dieu pour lui, et tout en larmes d’appeler sur son père les bénédictions que le ciel ne pouvait pas exaucer ! Elle, qui avait désiré mourir jeune, pour mourir dans ses bras ! elle qui en retour de l’abandon, de la froideur et de l’indifférence qu’il avait pour elle, lui avait voué un amour inaltérable, l’excusant, le défendant comme son bon ange !

Elle tremblait et ne voyait plus autour d’elle. Son père