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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/30

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lui avait fait venir les larmes aux yeux : il avait passé toute la nuit à y songer, mais il n’était jamais allé plus loin que ces mots : Femme adorable. C’était là que l’avait abandonné l’inspiration poétique qui l’avait soutenu dans le cours des lettres initiales qu’il avait écrites, en tête des sept autres vers… à faire.

En dehors de ce procédé adroit et diplomatique, qui consistait à déposer chaque jour une carte chez M. Dombey, la cervelle de M. Toots n’avait pas fait jusqu’ici beaucoup de frais pour aviser aux moyens de posséder l’objet qui captivait son cœur. Mais un jour une idée profonde frappa l’esprit de M. Toots : il se dit que ce serait un grand pas de fait s’il pouvait entrer dans les bonnes grâces de Suzanne Nipper et la préparer ainsi à recevoir quelque confidence sur l’état de son âme.

Comme préliminaires du roman, quelques petites amabilités adressées à la jeune dame pour la gagner semblaient devoir être d’un bon effet ; mais le pauvre Toots, incapable de dresser son plan lui-même, alla consulter Coq-Hardi, sans pour cela le mettre dans le secret : il lui dit simplement qu’un de ses amis, du Yorkshire, lui avait écrit pour lui demander son opinion dans un cas de ce genre. Coq-Hardi répondit que sa devise était : Marcher et vaincre ; ou encore : Quand vous avez votre ennemi en face, il faut le découdre, ou bien encore : Quand le vin est tiré, il faut le boire. M. Toots, donnant à ce langage figuré l’interprétation la plus favorable à ses vues, prit l’héroïque résolution d’en découdre, c’est-à-dire d’embrasser miss Nipper pas plus tard que le lendemain.

Le lendemain donc, M. Toots, déployant au grand jour quelques-unes des merveilles de la maison Burgess et compagnie, se rendit chez M. Dombey pour mettre son dessein à exécution. Mais le cœur lui manqua en approchant du théâtre de ses futurs exploits ; car, bien qu’il fût trois heures de l’après-midi lorsqu’il arriva devant la maison, il en était déjà six quand il frappa à la porte.

Tout se passa, comme à l’ordinaire, jusqu’au moment où Suzanne lui dit que sa jeune maîtresse se portait bien, et que M. Toots lui eut répondu :

« Ça ne fait rien. »

Mais à la profonde surprise de Suzanne Nipper, M. Toots, après cette dernière observation, au lieu de partir comme une fusée, se mit à flâner dans le vestibule en riant de son gros rire.