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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/33

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les murailles nues semblaient jeter sur elle un regard sinistre : on eût dit qu’à l’exemple de la Gorgone, elles voulaient changer en pierre sa jeunesse et sa beauté.

Les contes de fées mêmes n’ont jamais offert à l’imagination une demeure enchantée, renfermée dans les profondeurs d’un bois épais, qui fût plus solitaire et plus déserte que ne l’était dans sa triste réalité la demeure de son père. La nuit, quand les lumières éclairaient les fenêtres du voisinage, la maison faisait tache même au milieu de cette clarté douteuse ; le jour, elle présentait un aspect rembruni qui attristait encore davantage cette rue toujours silencieuse.

Sans doute on ne voyait point, comme dans les contes de fées, deux dragons placés à la porte, sentinelles vigilantes, postées pour la garde de quelque innocente recluse ; mais un affreux visage, au demi-sourire satanique, surveillait du haut de la porte tous ceux qui entraient. Ce n’était encore rien : il y avait, pour défendre l’entrée, une grille monstrueuse, dont les barres tournées en spirales et en vis sans fin formaient les combinaisons les plus diaboliques : aux deux côtés de la porte se voyaient deux vases, véritables éteignoirs qui semblaient dire aux passants : Voi che intrate, lasciate ogni… vous qui entrez, dites adieu à la lumière ! Il n’y avait pas d’inscription magique gravée sur la porte ; mais la maison paraissait dans un tel état d’abandon, que les gamins des rues s’amusaient à écrire avec de la craie sur la grille et sur les dalles, et surtout sur la muraille du coin ; ils charbonnaient des spectres sur la porte de l’écurie, et, pour se venger de Towlinson, qui leur faisait la chasse, ils esquissaient son portrait en lui donnant des oreilles qui poussaient de dessous son chapeau en ligne horizontale. Mais dans l’intérieur, on n’entendait pas le plus petit bruit. Les musiciens ambulants, qui passaient dans cette rue-là une fois par semaine, le matin, se gardaient bien de faire braire leurs instruments sous les fenêtres de la maison Dombey : toute la bande, y compris le petit orgue de Barbarie criard, au timbre légèrement fêlé, avec ses valseurs qui entrent et sortent tour à tour par de petites portes à deux battants, toute la bande évitait d’un commun accord la maison Dombey, et la fuyait comme un endroit qui ne lui offrait aucun espoir de gain.

Encore, si cette maison ensorcelée avait ressemblé aux châteaux enchantés du temps jadis qu’un coup de baguette plongeait dans le sommeil, tout en leur laissant la fraîcheur et