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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/47

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de cette scène de désolation, le capitaine, de son île, jetait des regards contristés sur les dégâts de l’inondation et semblait attendre qu’une barque amie passât par là pour le tirer d’embarras.

Mais lorsque le capitaine, tournant son visage désespéré du côté de la porte, vit sur le seuil Florence et Suzanne, rien ne peut donner une idée de sa stupéfaction. La faconde de Mme Mac-Stinger ayant eu pour effet d’empêcher toute autre voix de parvenir à ses oreilles, il s’attendait tout au plus à la visite du garçon de café ou du laitier : aussi, quand Florence se montra, s’approcha des bords de l’île, mit sa main dans celle du capitaine Cuttle, celui-ci se leva, d’un air tout effaré, comme s’il croyait voir, pour le moment, dans la personne de Florence, entrer dans sa chambre la Frégate volante[1].

Se remettant bientôt cependant, le capitaine s’occupa d’abord de faire passer Florence sur son île ; ce qu’il fit heureusement en l’aidant de son bras ; puis, mettant le pied dans l’eau, il prit miss Nipper par la taille et la transporta aussi dans l’île. Alors le capitaine, rempli de respect et d’admiration, porta à ses lèvres la main de Florence et s’éloignant un peu, car l’îlot n’était pas assez large pour trois personnes, il les regarda du sein de l’eau de savon, comme un triton d’un nouveau genre.

« Vous êtes étonné de nous voir, n’est-ce pas ? » dit Florence en souriant.

Le capitaine, charmé plus qu’on ne peut le dire, lui envoya un baiser par l’intermédiaire de son croc pour toute réponse, et grommela ses deux mots favoris : « Tenez bon ! tenez bon ! » comme s’ils renfermaient ce qu’il y a de plus choisi et de plus délicat en fait de compliment.

« Mais, voyez-vous, je ne pouvais pas être tranquille, dit Florence, sans venir vous demander des nouvelles du cher Walter ; car c’est mon frère maintenant. Je voudrais savoir s’il y a quelque chose à craindre, et vous prier de venir consoler un peu tous les jours son vieil oncle Sol, jusqu’à ce que nous ayons des nouvelles. »

À ces mots, le capitaine Cuttle, par un geste involontaire, porta la main à sa tête, veuve du chapeau de toile cirée, et regarda Florence d’un air tout confus.

  1. The Flying Dutchman. La Frégate hollandaise volante. C’était, selon la légende, une frégate imaginaire qu’on voyait toujours voler devant soi sur les flots, sans jamais pouvoir l’atteindre.