Aller au contenu

Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Pour moi, du moins, à ce qu’il paraît. »

Florence jeta un coup d’œil dans la direction de la jeune fille, toujours assise, ramassée sur elle-même, les coudes sur les genoux et le menton dans ses mains.

— Est-ce votre fille qui est là ? » lui dit-elle.

L’homme leva vivement la tête, et en regardant la jeune fille, son visage s’épanouit : « Oui, répondit-il, c’est ma fille ! » Florence se tourna vers elle et la salua avec bienveillance ; la jeune fille, pour toute réponse, murmura quelque chose d’un air fort peu gracieux, comme si elle était mécontente.

— Est-ce qu’elle n’a pas d’ouvrage non plus ? dit Florence.

— Non, mademoiselle, dit-il en secouant la tête, je travaille pour deux.

— Vous n’êtes donc que deux ? demanda Florence.

— Nous ne sommes que deux, dit l’homme. Sa mère est morte il y a dix ans. Martha, ajouta-t-il en levant la tête et en sifflant pour attirer son attention, dites donc quelque chose à cette jeune et jolie demoiselle. »

La jeune fille fit un geste d’impatience, haussa les épaules et tourna la tête d’un autre côté. Elle était laide, mal faite, d’une humeur désagréable, mal tournée, déguenillée, malpropre… Cela ne l’empêchait pas d’être aimée ! Oh ! oui, elle l’était : car Florence avait vu les regards que son père dirigeait vers elle et, comparés à d’autres regards qu’elle connaissait, quelle différence !

« Je crains bien qu’elle ne soit plus malade ce matin, ma pauvre enfant, dit l’homme en interrompant son travail et en contemplant la jeune fille disgraciée de la nature avec un œil de compassion qui n’en était que plus tendre dans sa rudesse.

— Elle est donc malade ? » dit Florence. L’homme poussa un profond soupir. « Ma pauvre Martha, je suis sûr, dit-il en la regardant toujours, n’a pas eu, depuis cinq ans, cinq pauvres jours de bonne santé.

— Ah ! oui, il y a bien plus longtemps que ça, Jean, dit un voisin qui était descendu pour l’aider à radouber sa barque.

— Plus longtemps que ça, vous croyez ? s’écria l’autre en relevant en arrière son chapeau tout froissé et passant sa main sur son front. C’est possible, il me semble toujours qu’il y a longtemps, bien longtemps.

— Il n’y aurait pas si longtemps, continua le voisin, si vous ne l’aviez pas gâtée, si vous n’aviez pas écouté tous ses ca-