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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/92

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comment dirai-je ? un gouffre qui nous sépare. Que mon Edith, si naïve et si naturelle, est changée pour moi ! Ce sont des chagrins des plus poignants. »

Le major se leva de sa chaise pour s’asseoir plus près de la petite table.

« De jour en jour, je le vois, mon cher major, continua Mme Skewton. De jour en jour, je le sens. À chaque heure, je me reproche cet excès de faiblesse et de confiance, qui a produit de si affligeantes conséquences ; et je m’attends presque de minute en minute que M. Dombey viendra s’expliquer lui-même et me soulagera des souffrances que j’endure et qui sont extrêmement pénibles. Mais je ne vois rien venir, mon cher major ; je suis sous l’empire du remords… Prenez garde à la tasse de café, vous êtes si maladroit ; … ma chère Edith est changée, et je ne vois réellement pas ce qu’il y a à faire, ou quelle bonne âme je puis consulter. »

Le major Bagstock, encouragé peut-être par le ton de si douce intimité qu’avait pris Mme Skewton, et dans lequel elle paraissait se complaire à la fin, lui tendit sa main par-dessus la petite table et lui dit, en lui lançant une œillade :

« Consultez Joe, madame.

— Eh bien ! alors, grand monstre que vous êtes, dit Cléopatre en donnant une main au major et lui tapant les doigts avec son éventail qu’elle tenait de l’autre, pourquoi ne me parlez-vous pas ? Vous savez ce que je veux dire. Pourquoi ne me dites-vous rien de ce qui m’intéresse ? »

Le major se mit à rire, baisa la main qu’elle avait posée sur lui et se remit à rire… sans fin.

« Y a-t-il chez M. Dombey autant de cœur que je lui faisais l’honneur de le croire ? dit la voix tendrement languissante de Cléopatre. Pensez-vous qu’il soit de très-bonne foi, mon cher major, donneriez-vous le conseil de lui en parler ou de le laisser faire ? Allons, mon cher, dites-moi votre avis.

— Le marierons-nous avec Edith Granger, madame ? fit le major en ricanant de sa grosse voix.

— Être mystérieux ! reprit Cléopatre en approchant son éventail pour l’appuyer sur le nez du major. Comment pourrions-nous le marier ?

— Je demande si nous le marierons à Edith Granger, madame, » dit le major en ricanant encore.

Mme Skewton ne répondit rien, mais sourit au major avec tant de vivacité maligne, que notre galant officier, prenant ce