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Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/118

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L’AMI COMMUN.

« Maintenant, dit Vénus, qui tout en soufflant dans sa soucoupe, regardait son confiant ami à travers la fumée, la question qui se présente est celle-ci : quelle marche devons-nous suivre ? »

Sur ce point le littérateur avait beaucoup à dire. Il supplia d’abord son camarade, son ami, son frère, de se rappeler les passages qui avaient été lus dans la soirée ; il était évident que pour mister Boffin, le vieil Harmon était de la même étoffe que les gens dont on avait lu l’histoire, et que le Bower devait être une de ces masures pleines de trésors cachés ; la bouteille et la boîte confirmaient déjà cette opinion. Il n’était pas moins évident que la fortune des deux associés était faite, puisqu’ils n’avaient qu’à fixer un chiffre quelconque, pour que le ver de terre, moins favorisé qu’ils ne l’avaient cru jusqu’alors, s’empressât de leur donner la somme en échange de ce testament. Ce chiffre, pensait mister Wegg, était facile à dire ; peu de mots suffisaient : la moitié de l’héritage. Cette question réglée, il s’en présentait une autre : à quelle époque devait-on réclamer cette part si bien acquise ? Mister Wegg avait à ce sujet un plan dont il recommandait l’exécution, mais en y ajoutant une clause conditionnelle : il fallait, dit-il, attendre avec patience que la cour fût déblayée, et surveiller de près l’enlèvement des monticules. De cette manière ils s’éviteraient la peine de fouiller pendant le jour, et pourraient remuer les tas de cendres toute la nuit sans craindre qu’on s’en aperçût. La maison elle-même pourrait être mise à sac au milieu du désordre ; et le Bower leur ayant livré ses trésors, ils se présenteraient chez l’usurpateur pour réclamer leur part. C’est alors que la certaine clause devait intervenir ; mister Wegg supplia donc son camarade, son frère, son associé de redoubler d’attention. « Il n’est pas permis, dit-il, à un cohéritier de détourner une portion quelconque de l’héritage commun, et de dépouiller de la sorte ses copropriétaires ; cela ne fait pas le moindre doute. » Or quand lui, Silas Wegg, avait vu le mignon de la fortune s’éloigner frauduleusement avec cette bouteille, dont on ignorait le précieux contenu, il avait envisagé ce favori de l’heure présente comme un voleur de la pire espèce, et lui aurait arraché son bien mal acquis sans l’intervention de mister Vénus. C’était pour cela qu’il faisait la proposition suivante : « Si l’on voyait encore ce ver de terre prendre une allure mystérieuse, et déguerpir en emportant un objet quelconque, on lui montrerait aussitôt l’épée tranchante qui était suspendue sur sa tête. Il aurait à rendre un compte exact de ses découvertes, de ses espérances ; il serait traité sévèrement, gardé à vue et réduit à un esclavage moral jusqu’au