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Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/149

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L’AMI COMMUN.

— Si cela peut être agréable à votre charmante filleule, — un fameux parrain qu’on lui a donné là ! dit miss Wren en piquant l’air d’un coup d’aiguille à l’adresse du gentleman, — s’il lui est agréable de savoir que la couturière de la Cour connaît vos ruses et vos allures, vous pouvez le lui écrire par la poste, et lui faire mes compliments. »

Miss Wren travaillait avec ardeur ; Eugène à demi souriant, à demi vexé, debout près de l’établi, et ne sachant plus que dire, suivait du regard les doigts agiles de la petite ouvrière. C’était le soir ; le terrible enfant de miss Wren, arrivé au delirium tremens, était en pénitence dans son coin.

« Bon ! s’écria l’habilleuse de poupées, en entendant l’ivrogne claquer des dents, si elles pouvaient seulement vous étrangler, enfant maudit ! Béé-ée, béé-ée ! mouton noir ! »

À chacun de ces reproches, accentués d’un coup de pied sur le carreau, le misérable répondit par une plainte.

« Donner cinq schellings pour vous ! plus souvent ! continua miss Wren. Savez-vous combien d’heures il me faut pour gagner cinq schellings, mauvais drôle ? Je vous défends de crier, ou je vous jette une poupée à la tête. Cinq schellings d’amende ! Je ne les payerai certainement pas ; je les donnerai au boueur pour qu’il vous emporte dans sa charrette.

— Non ! gémit l’idiote créature.

— N’y a-t-il pas de quoi vous briser le cœur, dit miss Wren en se tournant vers le gentleman. Je voudrais ne pas l’avoir élevé. S’il n’était pas engourdi comme l’eau d’une mare, il serait plus fin qu’une dent de serpent. Regardez-le : un beau coup d’œil pour une mère ! »

Il est certain qu’inférieur aux pourceaux, car les porcs s’engraissent de ce qu’ils avalent et se rendent bons à manger, le fils de la petite habilleuse n’était un beau coup d’œil pour personne.

« Odieux enfant, dégoûtante créature ! propre à rien qu’à être mis en bocal pour servir d’exemple à ses pareils, s’il n’a pas de considération pour lui, il devrait en avoir pour sa mère.

— Oui, — dération. — Oh ! ne le faites pas ! balbutia l’objet de ces reproches irrités.

— Ne le faites pas ! répliqua miss Wren ; c’est tout le contraire qu’il faudrait dire. Vous recommencez bien, vous !

— Ne le ferai pus, — vrai ! mande pardon !

— Vous me faites mal à voir, dit miss Wren en se couvrant les yeux. Allez me chercher mon chapeau et mon châle ; servez au moins à quelque chose et débarrassez-nous de votre présence. »