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Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/179

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L’AMI COMMUN.

— Si, ma petite, je vous assure. »

Ce n’était pas seulement un acte diplomatique de la part de Fledgeby ; c’était une manière de se venger de la pénétration de miss Wren, et de profiter du rôle qu’il faisait jouer à mister Riah. « Ce Juif, reprit-il, a une mauvaise réputation : je crois qu’il ne l’a pas volée, et je veux lui faire recracher la somme qu’il peut avoir à moi. »

L’idée que le Juif s’enrichissait à ses dépens était, comme on sait, le dada de Fledgeby ; et cette idée s’aggravait de ce que le vieillard avait l’audace de lui faire un secret de l’adresse de la jolie fille ; non pas qu’il fût mécontent du secret en lui-même ; il s’en réjouissait au contraire, puisque cela chagrinait un de ses semblables.

Miss Wren, toujours assise, regardait le carreau d’un air abattu, et il y avait quelque temps que le silence régnait dans la salle, lorsque la figure de Fledgeby annonça qu’à travers la porte vitrée on voyait venir quelqu’un. Au même instant le bruit d’un pas mal assuré se fit entendre ; puis un frôlement, un léger coup à la porte. Nouveau frôlement un peu plus prononcé ; nouveau coup un peu plus fort. Fledgeby n’y faisant nulle attention, la porte finit par s’ouvrir, et le visage ratatiné d’un vieux petit gentleman s’avança d’un air discret.

« Mister Riah ? demanda le visiteur avec une extrême politesse.

— Je l’attends, monsieur, répondit Fascination. Il est sorti pour affaire en me disant qu’il reviendrait tout de suite ; je suppose qu’il va rentrer ; mais vous feriez bien de vous asseoir. »

Le gentleman prit une chaise, et porta la main à son front, comme s’il avait quelque sujet de tristesse. Fledgeby l’examina du coin de l’œil, et parut goûter cette pose mélancolique. « Un temps superbe, monsieur, » dit-il.

Le doux vieillard était si absorbé par ses réflexions qu’il ne prit garde à ces mots que lorsque la voix de Fledgeby eut cessé de retentir. Il tressaillit alors, et s’excusant : « Pardon, monsieur, je crains que vous ne m’ayez parlé ?

— Je disais que le temps est superbe, reprit Fascination d’une voix plus forte.

— Oui, monsieur. »

Il reporta la main à son front ; l’autre parut enchanté. Un instant après il changea d’attitude et soupira.

« Mister Twemlow, je crois ? » dit Fledgeby en grimaçant un sourire.

Le petit gentleman sembla fort étonné.

« J’ai eu le plaisir de déjeûner avec vous chez Lammle, con-