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Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/184

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L’AMI COMMUN.

« Serait-ce pour faire saisir chez ce pauvre Lammle que vous êtes sorti si vite ? demanda Fledgeby. Non, c’est impossible ; vous ne l’avez pas fait ?

— Si, monsieur, répondit le vieillard à voix basse.

— Misérable ! s’écria l’autre ; je savais bien que vous étiez dur ; mais je ne croyais pas que vous le fussiez à ce point-là.

— Monsieur, dit le vieillard d’une voix tremblante, j’ai suivi les ordres qui m’ont été donnés. Je ne suis pas le maître ici, et ne peux qu’obéir.

— Ne dites pas cela, répliqua Fascination, qui voyait avec joie le vieillard lever les mains comme pour se défendre contre le jugement que les auditeurs devaient porter sur lui. « C’est le refrain du métier ; tous vos pareils disent la même chose. Vous avez le droit de poursuivre vos débiteurs, mais ne nous faites pas de ces contes-là, surtout à moi qui vous connais. »

Le vieillard serra le bord de sa longue tunique dans sa main gauche, et regarda Fledgeby.

« N’ayez pas cette douceur infernale, je vous en conjure, poursuivit ce dernier ; je sais trop ce qu’elle annonce. Mais parlons affaires : voici mister Twemlow. »

Le Juif se tourna vers le gentleman et salua ; ce pauvre agneau terrifié lui rendit son salut.

« Je viens d’éprouver un tel échec au sujet de ce pauvre Lammle, continua Fledgeby, qu’il me reste peu d’espoir d’obtenir quelque chose pour monsieur, dont je suis à la fois l’ami et le parent. Si pourtant vous deviez accorder une faveur à quelqu’un, je pense que ce serait à moi, et veux essayer de vous fléchir ; d’ailleurs j’en ai fait la promesse. Allons, mister Riah, un peu d’indulgence ; mister Twemlow est bon pour les intérêts ; il les a toujours payés avec exactitude ; il continuera certainement. Pourquoi le mettre dans la gêne ? Vous n’avez rien contre lui, n’est-ce pas ? Montrez-vous coulant, mister Riah. »

Le vieillard regarda au fond des petits yeux de Fledgeby, espérant y découvrir l’autorisation de se montrer coulant, et n’y vit pas le moindre signe.

« Ce n’est pas un de vos parents, dit Fledgeby ; vous n’avez pas de raison pour lui en vouloir de sa qualité de gentilhomme, et du noble soutien qu’il a trouvé dans la famille. S’il a du mépris pour les affaires, cela vous est bien égal.

— Pardon, interposa la douce victime, je ne les méprise nullement ; ce serait de ma part une prétention ridicule.

— N’est-ce pas joliment tourné, mister Riah, dit Fledgeby ; allons, accordez-moi du temps pour mister Twemlow. »

Le vieillard chercha une seconde fois dans les yeux du maître