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Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/249

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L’AMI COMMUN.

de considérer la chose comme une affaire, et de nous dire que c’est une affaire faite. Vous m’avez rendu un service ; je l’ai payé, tout est dit ; à moins que le prix ne vous convienne pas. »

Les deux époux se regardent, mais ne font aucune objection ; Alfred hausse les épaules, Sophronia reste immobile.

« Très-bien, reprend le boueur doré. Vous reconnaîtrez, nous l’espérons, ma vieille lady et moi, que nous avons pris le chemin le plus court et le plus honnête qu’offrait la circonstance. La vieille lady et moi, nous en avons causé avec beaucoup de réflexion, et nous avons senti que de vous tenir plus longtemps le bec dans l’eau, ça ne serait pas juste. Alors je vous ai donné à entendre que… » Mister Boffin cherche un nouveau tour de phrase, et n’en trouvant pas de meilleur, répète que ça ne se peut pas. Si j’avais su dire la chose d’une façon plus agréable, je l’aurais fait avec plaisir. J’espère néanmoins ne pas vous avoir blessés ; dans tous les cas, ce n’était pas mon intention… Et vous souhaitant bonne chance sur la route que vous allez prendre, je finis en vous disant qu’il faut nous séparer. »

Mister Lammle se lève de table avec un rire impudent ; sa chère âme avec le regard dédaigneux qui lui appartient. En ce moment un pas rapide s’entend dans l’escalier, la porte s’ouvre, et Georgiana, tout en larmes, se précipite dans la chambre sans qu’on l’annonce.

« Oh ! ma Sophronia ! s’écrie-t-elle en se tordant les mains et en se jetant dans les bras de missis Lammle ; penser que vous êtes ruinés, vous et Alfred ! Qu’on a vendu chez vous ! pauvre chère Sophronia ! après toutes les bontés que vous avez eues pour moi. Oh ! mister et missis Boffin, je vous souhaite le bonjour ; veuillez me pardonner ; vous ne savez pas combien je l’aimais quand on m’a défendu de la voir, et tout ce que j’ai souffert depuis que j’ai entendu dire à Ma qu’ils n’avaient plus de position dans le monde. Vous ne savez pas combien d’heures j’ai passées la nuit sans dormir, à pleurer pour ma Sophronia, ma première et ma seule amie. »

La figure et les manières de missis Lammle ont complètement changé. Elle est extrêmement pâle, et adresse à mister Boffin et à sa femme un regard suppliant, qu’ils comprennent tous les deux avec plus de promptitude que ne l’auraient fait beaucoup de gens mieux élevés, dont la pénétration vient moins directement du cœur.

« Je n’ai qu’une minute, dit la pauvre Georgiana ; il faut que je m’en aille. Je suis sortie avec Ma pour visiter les magasins ; j’ai dit que j’avais mal à la tête afin de rester dans le phaëton. J’ai couru chez Sophronia ; nous en étions tout près ; — on m’a