Aller au contenu

Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/277

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
273
L’AMI COMMUN.

La manière dont la jeune femme enleva la position où Lavvy s’était retranchée avec tant de délicatesse, fut un véritable triomphe. Elle entra en courant, et la figure radieuse.

« Que je suis contente de vous voir ! Comment vous portez-vous, chère Ma ? Et cette Lavvy aimée, comment va-t-elle ? Et George Sampson, où en est-il ? Vous mariez-vous bientôt ? Fait-il de bonnes affaires ? Je veux tout savoir. John ! embrassez notre mère, puis notre sœur ; et nous voilà chez nous, tous heureux d’être ensemble. »

Missis Wilfer demeura bouche béante, ainsi que miss Lavinia. Sans plus de cérémonie que de contrition, Bella ôta son chapeau, alla s’asseoir, et se mit à faire le thé.

« Vous le sucrez toutes les deux, je sais cela. Pas de lait pour ce petit père ; autrefois je n’en voulais pas ; j’en prends aujourd’hui, parce que John en prend toujours. Avez-vous embrassé Ma et Lavvy, John ? à merveille, mais je ne l’avais pas vu. Coupez les tartines, voulez-vous ? Oh ! comme il les fait bien ! Ma les aime doubles ; c’est cela. Maintenant, chère Ma, vous allez me dire, et toi aussi, Lavvy : bien vrai, sœur, votre parole d’honneur, n’avez-vous pas pensé (rien qu’un instant), en lisant ma lettre, que j’étais une affreuse petite misérable ? »

Avant que missis Wilfer eût agité ses gants, Bella poursuivait sur le même ton : « Vous m’en avez un peu voulu, chère Ma ? toi aussi, pauvre sœur ? et je le méritais bien. Mais voyez-vous, j’avais été si folle (une créature sans âme), ayant toujours dit que je n’épouserais qu’un homme riche, et me croyant incapable de faire un mariage d’amour. J’ai supposé que vous ne voudriez pas me croire ; vous ne saviez pas tout le bien que j’avais appris de Monsieur. Cela m’a intimidée ; j’avais honte de ce que vous pensiez de moi. Puis j’ai eu peur : on pouvait ne pas s’entendre ; j’ai craint les disputes, les mots qu’on aurait regrettés plus tard ; et j’ai dit à John que s’il voulait me prendre comme cela, je ne demandais pas mieux. Il a bien voulu ; et nous nous sommes mariés à Greenwich, sans autre témoins qu’un personnage qui était là par hasard, et la moitié d’un invalide. N’est-il pas agréable de penser qu’il ne s’est pas dit une parole dont on serait fâché aujourd’hui, et que nous voilà tous les meilleurs amis du monde ? »

Elle se leva pour les embrasser et revint à sa place, après avoir passé le bras autour du cou de son mari, et donné un baiser à John comme aux autres. « Maintenant, reprit-elle, vous voulez savoir comment nous vivons ; c’est trop juste. Eh bien ! nous demeurons à Blackheath ; dans le plus joli cottage : une maison de poupée délicieuse, meublée d’une manière ravissante,