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Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/279

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L’AMI COMMUN.

— Il y a beaucoup de gens riches, qui, pour cela n’en sont pas moins bons.

— Est-ce la plus grande partie ? demanda-t-elle d’un air rêveur.

— Il faut l’espérer, mon ange. Suppose que tu sois riche, tu aurais le pouvoir de faire du bien.

— Oui ; mais penserais-je à en faire usage ? et n’aurais-je pas la faculté de me nuire ?

— Cette faculté-là, reprit John en riant, voudrais-tu l’exercer ?

— J’espère que non, dit-elle d’un air pensif ; mais il est facile de se le figurer quand on est sans fortune.

— Pourquoi ne pas dire quand on est pauvre ? demanda John en l’examinant avec attention.

— Parce que je ne le suis pas. Crois-tu par hasard que nous soyons pauvres ?

— Je le trouve, dit-il.

— Oh ! John !

— Comprends-moi, cher ange ; personnellement je suis l’homme le plus riche de la terre, puisque je te possède ; et ce n’est pas à moi que je pense. Tu portais une robe du genre de celle-ci la première fois que je t’ai vue, tu ne m’en as pas moins charmé ; je ne sais pas de toilette qui pourrait t’embellir à mes yeux. Mais tout à l’heure, tu admirais de riches étoffes ; n’est-il pas naturel que je désire te les donner ?

— Que tu es bon, John ! merci de la manière dont tu dis cela ; j’en pleure de joie ; mais je n’ai pas envie de ces belles robes.

— Nous marchons là dans ces vilaines rues, poursuivit-il ; je souffre de voir la boue toucher la semelle de tes souliers, tes jolis petits pieds me sont si chers ! n’est-il pas tout simple que je veuille te donner une voiture ?

— Il est bien doux, dit-elle en regardant les petits pieds en question, de savoir que tu les aimes tant ; et puisque tu les admires, je suis fâchée que ces bottines soient beaucoup trop larges ; mais je n’ai pas besoin de voiture ; crois-le bien.

— Tu ne serais pas contente d’en avoir une ?

— Bien moins que d’un pareil désir ; tes vœux sont pour moi comme ceux des contes de fées : dès que tu les formes, ils s’accomplissent. Désire pour moi tout ce que tu peux souhaiter à celle que tu aimes, et j’en serai plus contente que si on me le donnait. »

Jasant de la sorte, aussi heureux qu’ils pouvaient l’être, ils gagnèrent à pied leur maisonnette, qui ne leur en parut pas moins riante.

Bella montrait pour les affaires domestiques un génie qui se