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L’AMI COMMUN.

Les jours où le vieil enfant allait plus mal étaient de mauvais jours pour la petite ouvrière. Toutefois l’ouvrage attendu fut prêt le lendemain matin, et les deux poupées ayant été déposées dans Bond-street à dix heures, miss Wren dirigea sa petite canne du côté d’Albany. À la porte de la maison du gentleman, elle trouva une lady en costume de voyage, et qui avait à la main la chose du monde qu’on s’attendait le moins à y voir : un chapeau d’homme. « Vous demandez quelqu’un ? lui dit cette dame d’un ton bref.

— Je monte chez mister Fledgeby.

— Pas maintenant, reprit la dame, il est en affaire ; quand le gentleman qui est avec lui descendra, vous pourrez monter. »

Tout en parlant, cette dame s’était mise devant l’escalier, et semblait résolue à en défendre l’accès. Comme elle était d’une taille imposante, et aurait pu d’une main arrêter la petite ouvrière, celle-ci attendit patiemment.

« Pourquoi prêtez-vous l’oreille ? demanda la dame après un instant de silence.

— Pas besoin de ça pour entendre, répondit miss Wren.

— Et qu’entendez-vous ?

— Un bruit singulier, dit la petite ouvrière ; comme des éternuements et quelqu’un qui crachote.

— Peut-être une douche que prend mister Fledgeby, observa la dame.

— Non, répondit miss Wren, c’est un tapis qu’on est en train de battre.

— Celui de mister Fledgeby, j’en suis certaine, répliqua la dame en souriant. »

La petite habilleuse se connaissait en sourires, ayant l’habitude d’en voir sur les lèvres de ses mignonnes pratiques, mais elle n’en avait jamais vu de pareil à celui qui dilata les narines et contracta les sourcils et les lèvres de la dame qui lui parlait. C’était cependant un sourire joyeux, mais d’un cachet si féroce que la petite ouvrière se dit : j’aime autant ne pas avoir de joie que de la ressentir de cette façon-là.

« Et maintenant ? reprit la dame.

— J’espère que c’est fini.

— Où cela ?

— Je ne sais pas, répondit miss Wren en jetant les yeux autour d’elle ; mais jamais je n’ai entendu pareille chose. Si j’allais appeler quelqu’un ?

— Je ne vous le conseille pas, » dit la dame en fronçant les sourcils d’une manière significative.

La petite habilleuse se tint pour avertie, et regarda sa com-